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7 février 2011 1 07 /02 /février /2011 21:32

6 février 2011

Alain Serbin

 

Le dernier livre de Frantz Fanon intitulé "Les Damés de la Terre", a connu un succès planétaire dès sa sortie. Immédiatement traduit en anglais, en allemand, en italien, en espagnol et dans plusieurs autres langues, le livre devint un best-seller pour tous les progressistes du monde entier, lu, rélu, et abondamment commenté.


Ce qui était dit dans ce livre concernait tous les peuples dominés, ce qu'on appellait à l'époque, 'peuples du Tiers-monde', ou 'sous-développés'. L'auteur du livre, en bon théoricien et combattant, avait développé des thèses assez solides et ses observations sonnaient véridiquement si justes. Tellement justes qu'il apparu pour certains comme un prophète de l'avenir des "damnés", et que l'ouvrage fut considéré comme la 'bible' pour tous les militants progressistes victimes du système dominant. Ce livre de Fanon devenait du même coup, un livre-culte. Les analyses de ce système furent mûrement dévéloppées, que Frantz Fanon devient un Maître à penser, pour toute une génération d'hommes et de femmes, dans le monde entier. Le dernier livre de Frantz Fanon, "Les Damnés de la Terre" reste le livre le plus complet, le plus abouti, puisqu'on retrouve tous les thèmes qu'il avait déjà développé auparavant dès son premier livre, mais cette fois-ci magnifiquement développés, puis après son engagement en Afrique du Nord, il va sociologique l'expliquer avec son deuxième livre, aussi important, censuré en France,  "L'An V de la révolution algérienne". Son dernier livre est, à notre avis le meilleur de son livre.  Dans "Les Damnés de la Terre", Frantz Fanon s'est détaché sur le plan de l'analyse.

 
Frantz Fanon est mort le 6 décembre 1961, d'une leucémie, dans un Hopital de Washington, aux Etats-Unis.
En ce jour d'anniversaire de sa mort, nous avons tenu à lui rendre ce grand Hommage appuyé. Un vibrant hommage pour ce grand penseur du XXè siècle, mais dont les idées vont traverser ce XXIè siècle, et probablement les siècles à venir. Livre-capital qui nous a ouvert les yeux sur le plan de la conscience politique, et nous a permis de mieux comprendre la pensée politique fanonienne. 

 

Réthorique et praxis révolutionnaire

Le thème de la violence, tel que Fanon l'a développé dans son livre, a été le point de départ de son analyse de la situation coloniale, sur le continent africain dans son ensemble. Pour l'auteur, si le système d'oppression mis en place opprime de façon brutale, la meilleure réponse ne peut venir que de la même violence subit. La violence est libératrice, puisqu'elle permet à l'opprimé de rompre brutalement avec ce cycle infernal, cette situation d'infériorisation dans lequel il est tenu en laisse comme un chien. La violence salvatrice contre un ordre insupportable pour les humains normaux. L'opprimé manifeste dès sa prise de conscience de sa condition de dominé un désir d'indépendance individuelle, et pourquoi pas, collective. Il est nécessaire de traverser cette phase révolutionnaire de révendication, avant d'aboutir à une autre phase, quasimment palpable, et qu'on appelle dans un langage militant, la praxis révolutionnaire. Le traumatisme de l'opprimé est la conséquence direct de sa révolte. L'infériorité permanente de celui-ci fut considéré comme congénitale. Il fallait montrer l'erreur d'analyse de l'oppresseur sur d'autres peuples différents d'eux. Se basant sur des bases raciales, le système coloniale a réussi à inférioriser mentalement racialement, socialement d'autres races, d'autres peuples. Ce système qui opprime s'énorgueillise de fabriquer des sujets à sa merci, des sujets infériorisés. L'infériorité permanente de celui-ci constate ce fait comme acquis et établi. Or, rien n'est acquis dans la vie.

 

C'est une perpétuelle évolution qui change le cours de la vie sur terre. On ne peut accepter indéfinimement une condition d'oppression. La violence de l'oppresseur ne se donne pas sulement le but de tenir en respect ces hommes asservis, mais elle cherche aussi surtout à les déhumaniser. Pour que ces hommes réduits à l'état d'esclaves s'affranchissent il n'y a que la révolution. La révolte dans la violence comme leurs maîtres. La violence révolutionnaire reste donc la seule option pour se libérer. Rien à voir du mépris affiché de l'envahisseur-colonisateur, mais une soif de vivre pleinement sa propre libérté. Le système mis en place dans les pays dominés a permis d'enfanter des individus totalement soumis, lobotomisés, dépouillés de toute leur personnalité. Une dépersonnalisation ambiguë qui n'est rien d'autre que l'aliénation mentale. Des gens qui ne sauront plus jamais qui ils sont, d'où qu'ils viennent, ni d'où ils vont. Pour récupérer sa propre personnalité, l'individu a d'abord besoin de se remettre en question, savoir où il est, et là où il veut aller. Ainsi, il faudra passer par ce stade-là, libérateur de cette violence individuelle, qui est une forme d'aliénation coloniale pour lutter contre l'oppresseur. Il faut souvent se faire violence soi-même pour se retrouver.

 

Ce constat est valable en tout point de vue, pour chaque individu. Dans le premier chapître de ses "damnés de la terre", Fanon l'avait intitulé ' De la violence', et il écrit ceci : <La décolonisation est toujours un phénomène violent car la colonisation n'est pas une machine à penser, n'est pas un corps doué de raion. Le colonialisme est la violence à l'état de nature et ne peut s'incliner que devant une plus grand violence >. L'auteur y décrit aussi l'état permanent de cette violence. La violence qui a présidé à l'arrangement du monde colonial, qui a rythmé inlassablement la déstruction des formes sociales indigènes, démoli sans réstriction les systèmes de références de l'économie, les modes d'apparence, d'habillement, cette violence-là sera revendiquée et assumée par le colonisé au moment où décidant d'être l'histoire en actes, la masse colonisée s'engouffrera dans les villes interdites. Faire sauter le monde colonial est désormais une image d'action très claire, très compréhensible et pouvant être reprise par chacun des individus constituant le peuple colonisé. Disloquer le monde colonial ne signifie pas qu'après l'abolition des frontières on aménagera des voies de passage entre les deux zones. Pour Fanon, la libération du système colonial ne doit pas se limiter à imiterensuit ce même système. Il faut rompre totalement avec ce système colonail. Libération nationale, renaissance nationale, restitution de la nation au peuple. Commonwealth, quelques que soient les rubriques utilisées ou les formules nouvelles introduites, la décolonisation est toujours un phénomène violent, écrit Fanon, dès les premiers lignes des "Damnés".

 

Avant de faire observer qu'à quelque niveau qu'on l'étudie : rencontre inter-individuelle, appelations nouvelles des clubs sportifs, composition humaine de cocktails-parties, de la police, de conseils d'administration dea banques nationales, ou privées, la décolonisation est très simplement le remplacement d'une 'espèce d'hommes' par une autre 'espèce d'hommes'.  L'auteur nous montre aussi dès les premères pages, les mécanismes qui amènent à la violence. Les injustices sont la première remarque que fait ces colonisés qui n'acceptent plus cet état d'asservissemet sur leur propre sol. C'est ce que Fanon a pu observé dans tous les pays africains auxquels il a séjourné, que ce soit au Ghana, au Mali, au Sénégal, en Egypte ou au Congo de son ami Patrice Lumumba. Ce dernier pays sombrera d'ailleurs dans un chaos avec des violences populaires inouïes, dès l'accession à son indépendance. Les colonisés belges tirant les ficelles de cette anarchie politique. Le grand leader panafricain, le premier ministre Congolais Patrice Lumumba sera assassiné par ses ennemis. C'est dans cette Afrique centrale que Fanon va tâter les difficultés de ces nouveaux pays africains nouvellement libérés du joug colonial. A la violence du colonisateur, le colonisé n'a pas les moyens de lui montrer l'animalité de sa violence. Alors, pour lui répondre, le colonisé n'a qu'une seule option, qu'un seul choix, c'est par la violence.

 

Les violences anti-humanistes sont les conséquences des désordres coloniaux qui s'ensuivirent. Il n'est plus question pour les colonisés d'écouter les mensonges coloniaux lorsque celui-ci lui parle des valeurs humanistes qu'il est incapable d'appliquer aux autres. Chaque fois qu'il est question des valeurs occidentales, il se produit chez le colonisé une sorte de raidissement, de tétanie musculaire. La décolonisation est la rencontre de deux forces congénitalement  antagonists. Dans la période de décolonisation, il est fait appel à la raison des colonisés. On leur propose des valeurs sûres, on leur explique abondamment  que la décolonisation ne doit pas signifier régression, qu'il faut s'appuyer sur des valeurs expérimentées, solides, côtées. Or il se trouve que lorsqu'un colonisé entend un discours sur la culture occidentale, il sort sa machette, ou du moins, il s'assure qu'elle est à portée de sa main.

 
La violence avec laquelle s'est affirmée la suprématie des valeurs blanches, l'agressivité qui a empregné la confrontation  victorieuse de ces valeurs avec les modes de vie ou de pensée des colonisés font que, par un juste retour des choses, le colonisé ricane quand on évoque devant lui ces valeurs.  Dans le contexte colonial, le colon ne s'arrête dans son travail d'éreintement du colonisé que lorsque ce dernier a reconnu à haute et intelligible voix la suprématie des valeurs blanches. Dans la période de décolonisation, la masse colonisée se moque de ces mêmes valeurs, les insultes, les vomit à pleine gorge.

 

Contexte national et réveil des damnés

Les damnés de la terre, ce sont ceux dont le système occidental a fabriqués, dominés, et fait d'eux des êtres sans importances, sinon pour leurs forces de travail forcé fournis. Ce qui a fait que, dans la première partie, la violence peut se justifier.Préfaçant le livre de Frantz Fanon "Les damnés de la terre", Jean-Paul Sartre écrit : < Fanon est le premier depuis Engels à remettre en lumière l'accoucheuse de l'Histoire>. Il poursuit, <Au siècle dernier, la bourgeoisie tient les ouvriers pour des envieux, déréglés par des grossiers appétits mais elle prend soin d'inclure ces grands brutaux dans notre espèce : à moins d'être hommes et libres comment pourraient-ils vendre leur force de travail. En France, en Angleterre, l'humanisme se prétend universel. Avec le travail forcé, s'est tout le contraire ; pas de contrat; en plus de ça, il faut intimider; donc l'oppression se montre. Nos soldats, outre-mer, repoussant l'universalisme métropolitain, appliquent au genre humain le ' numerus clausus' ; puisque nul ne peut sans crime dépouiller son semblable, l'asservir ou le tuer, ils posent en principe que le colonisé n'est pas le semblable de l'homme.Notre force de frappe a reçu mission de changer cette abstraite certitude en réalité : ordre est donné de ravaler les habitants du territoire annexé au niveau de singe supérieur pour justifier le colon de les traiter en bête de somme. La violence coloniale ne se donne pas seulement le but de tenir en respect ces hommes asservis, elle cherche à les déshumaniser. Rien ne sera menagé pour liquider leurs traditions, pour substituer nos langues aux leurs, pour détruire leur culture sans leur doner la nôtre; on les abrutira de fatigue>.

 
L'auteur des 'damnés' en fait même une observation lorsqu'il parle de la décolonisation qui ne passe pas inaperçue car elle transforme des spectateurs écrasés d'inessentialité en acteurs privilégés, saisis de façon quasi grandiose par le faisceau de l'Histoire. En ce sens, cette décolonisation est véritablement  création d'hommes nouveaux. Il y a donc exigence d'une remise en question intégrale de la situation coloniale. 
Ayant vécu la violence coloniale dans sa chair, et en tout point de vue, le colonisé n'a qu'une idée en tête, c'est rompre ce cycle infernal dans lequel le colonisé tente de l'enfermer indéfiniment. Pour le colonisé, cette rupture par la violence représente le praxis absolu. Quittant la situation d'asservissment, l'heure est venue de se reveiller et travailler pour rebâtir la nation naissante.

 
Visionnaire, l'auteur met en garde les colonisés, car il ne s'agit pas de remplacer un colonisateur par un autre colonisateur. La bourgeoisie nationale qui prend le pouvoir à la fin du régime colonial, par exemple, est une bourgeoisie sous-développé. Sa puissance économique est presque nulle, et en tout cas, sans commune mesure avec celle de la burgeoisie métropolitaine à laquelle elle entend se substituer. Dans son narcissisme volontariste, la bourgeoisei nationale s'est facilement convaincue qu'elle pourrait avantageusement remplacer la bourgeoisie métropolitaine. Mais l'indépendance qui la met littéralement au pied du mur va déclencher chez elle des réactions catastrophiques et l'obliger à lancer des appels angoissés en direction de l'ancienne métropole. Les cadres universitaires et commerçants qui constituent la fraction la plus éclairée du nouvel état se caractérisent en effet par leur nombre, leur concentration dans la capitale le type de leurs activités : négoce, exploitations agricoles, professions libérales. Au sein de la bourgeoisie, on ne trouve ni industriels, ni financiers.

 

La bourgeoisie nationale des pays sous-développés n'est pas orientée vers la production, l'invention, la construction, le travail. Elle est tout entière caractérisée dans les activités de type intermédiaire. Etre dans le circuit, dans la combine, telle semble être sa vocation profonde. La bourgeoisie nationale a une psychologie d'homme d'affaires non de capitaines d'industrie. Et d'embargo installé par le colonialisme ne lui ont guère laissé le choix. Dans le système colonial une bourgeoisie qui accumule du capital est une impossibilité. Or, précisément, il semble que la vocation historique d'une bourgeoisie nationale authentique dans un pays sous-développé soit de se nier en tant que bourgeoisie, de se nier en tant qu'instrument du capital révolutionnaire que constitue le peuple.

 
Dans un pays sous-développé, une bourgeoisie nationale authentique doit se faire un devoir impérieux de trahir la vocation à laquelle elle était déstinée, de se mettre à l'école du peuple, c'est-à-dire, de mettre à la disposition du peule le capital intellectuel et technique qu'elle a arraché lors de son passage dans les universités coloniales. Nous verrons malheureusement que, assez souvent, la bourgeoisie nationale se détourne de  cette voie héroïque et positive, féconde et juste, pour s'enfoncer, l'âme en paix, dans la voie horrible, parce qu'anti-nationale d'une bourgeoisie classique, d'une bourgeoisie bourgeoise, platement, bêtement, cyniquement  bourgeoise. C'est ce que Fanon appelle les "Mésaventures de la conscience nationale", dans un chapître. Observateur averti, l'auteur des "Damnés" a su merveilleusement analyser la situation de l'après-indépendance dans les pays nouvellement indépendants. Le témoignage de l'Angolais Mario de Andrade, est très intéressant : Depuis la Conférence d'Accra, en particulier, la guerre d'Algérie représenta l'idéal révolutionnaire et installa l'espérance des colonisés. Les émissaires de FLN algérien, par la voix vibrante de Frantz Fanon, bien souvent, s'imposaient par la force de l'exemple d'un ' vécu libérateur' et ils suscitaient les initiatives les plus avancées pour dynamiser la solidarité des opprimés. Ainsi le projet de la "légion africaine" que Fanon considérait comme la ' réponse concrète des peuples africains à la volonté de domination coloniale des Européens', mais qui ne fut jamais constitué. N'y avait-il pas un certain irréalisme à fixer des tâches au nom des peuples africains, tâches qui pour être réalisées devraient s'inscrire dans le cadre concret des régimes politiques ? Autrement dit, la marge d'indépendance des pays africains était insuffisante pour permettre de mener à terme les révolutions pour la libération du continent. 


Il importe ! Ce par quoi Fanon était un militant engagé c'est d'avoir contribuer à forger, par sa théorie et par sa praxis, cette "Afrique à venir". Fanon nous dit qu'avant l'indépendance, le leader incarnait en général les aspirations du peuple : indépendance, libertés politiques, dignité nationale. Mais, au lendemain de l'indépendance, loin d'incarner conrètement les besoins du peuple, loin de se faire le promoteur de la dignité réelle du peuple, celle qui passe par le pain, la terre et la remise du pays entre les mains sacrées du peuple, le leader va révéler sa fonction intime : être le président général de société de profiteurs impatients de jouïr que constitue la bourgeoisie nationale. Dans les pays sous-développés le leader représente la puissance morale à l'abri de laquelle la bourgeoisie, maigre et démunie, de la jeune nation décide de s'enrichir. Ainsi donc, l'instauration d'un parti unique est la forme moderne de la dictature bourgeoisie sans masque, sans fard, sans scrupules.



Expérience et exemple algériens

Les observations de Frantz Fanon sont tirées de ses voyages et contacts en Afrique, et de sa propre expérience de médecin, de théoricien, d'homme politique, entièrement dévoué, engagé non seulement dans la lutte pour la libération de l'Algérie, mais plus que cela, c'est l'ensemble du continent sous-domination, qui l'intéressait le plus. Sa propre vie est aussi un itinéraire intéressant pour un homme de conviction qu'il était.
Après ses études en France (médecine psychiatrique à Lyon), Frantz Fanon est partie travailler en Afrique. Le Sénégal qui était son choix n'étant pas prêt à l'accueillir, c'est en Afrique du Nord, en Algérie, qu'il va exercer, en tant que psychiatre à l'Hopital de Blida. Arrivé en 1955, il est interne à cet Hopital psychiatrique de Blida pour soigner des malades mentaux algériens. Là-bas, il va en tirer des matières qui vont approfondir ses études sur les colonisés. Ses observations pertinentes vont se développées, et se rendre compte de sa propre condition, dans une réalité coloniale la plus abjecte. Il note l'impact des dégâts de la colonisation dans le mental du colonisé. Sensible, en 1956, il décide d'écrire une lettre au Ministre Résident, Gouverneur Général de l'Algérie. Il y dénonce certaines pratiques et comportements à l'égard des malades arabes algériens. Surtout encore, les sanctions des grêvistes  : <(...) Monsieur le Ministre, la décision de sanctionner les grévistes du 5 juillet 1956 est une mesure qui, littéralement me paraît irrationnelle. Ou les gévistes ont été terrorisés dans leur chair et celle de leur famille, alors il fallait comprendre leur attitude, la juger normale, compte tenu de l'atmosphère. Ou leur abstention traduisait un courant  d'opinion unanime, une conviction inébranlable, alors toute attitude sanctionniste était superflue, gratuite, inopérante.(...) Depuis de longs mois ma conscience est le siège de débats impardonnables. Et leur conclusion est la volonté de ne pas désespérer de l'homme, c'est-à-dire de moi-même. Ma décision est de ne pas assurer une responsabilité coûte que coûte sous le fallacieux prétexte qu'il n'y a rien d'autre à faire. Pour toutes ces raisons, j'ai l'honneur, Monsieur le Ministre, de vous demander de bien vouloir accepter ma démission et de mettre fin à ma mission en Algérie, avec l'assurance de ma considération distinguée. Docteur Frantz Fanon.>


Cette démission de Fanon à un poste aussi important de Médecin-Chef, est d'une cohérence qui l'honore. 
De cette expérience, Fanon aura tiré des maitères pour ces futures écritures. Plus tard, il va s'engager corps et âme dans le combat contre la présence coloniale française en Algérie. Il sera par la suite expulsé du pays. En 1957 donc, il quitte l'Algérie pour suivre les combattants algériens du FLN en Tunisie. C'est dans ce dernier pays que va naître un Grouvernement Provisoire de la Révolution Algérienne, le GPRA. Tout en travaillant à l'Hopital de Manouba, à Tunis, en tant que médecin-psychiatre, Frantz Fanon va participer activement à l'organisation et à la collaboration du journal algérien anticolonialiste " EL `MOUDJAHID". C'est dans cette période qu'il va écrire beaucoup. Des articles pour le journal, dans lequel il assume la responsabilité. Le GPRA va le nommer comme Ambassadeur à Accra, au Ghana. Fanon va représenter l'Algérie, son pays d'adoption,  et prendra par aux diverses conférences, congrès, débats, défendant la position de la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. Entre 1958 et 1961, il va voyager beaucoup, surtout en Afrique noire : Ghana, Libéria, Mali, Sénégal, en Afrique centrale, notamment au Congo de Patrice Lumumba. De tous ces voyages, il aura tout le loisir d'observer et de comprendre cette Afrique, qui venait à peine de sortir du joug colonial. 


En 1959, il écrit son deuxième livre, " L'AN  V  DE LA REVOLUTION  ALGERIENNE" (aux Editions Maspéro, Paris). Un livre sociologique très riche. Fanon analyse la société algérienne telle qu'il l'a observé. Un ouvrage très intéressant. Son introduction n'est pas tendre avec le système colonial français. Le livre sera censuré, interdit de vente en Métropole. Dans ses écrits, Fanon ne mâche pas ses mots dans cette introduction où il dit franchement sa foi et que l'indépendance de l'Algérie est inéluctable: <La Révolution algérienne réside d'ores et déjà dans la mutation qui s'est produite chez l'Algérien, et que le colonialisme a définitivement perdu la partie en Algérie, tandis que de toute façon, les Algériens l'ont définitivement gagnée.> Rappelons qu'à l'époque de sa publication l'Algérie n'était pas encore indépendante.

 

Le livre "L'an V de la révolution algérienne" prophétisait déjà, alors même que la guerre se poursuivait et que l'indépendance n'était pas proclamée. La perspicacité de l'analyse montre bien la puissance de la pensée fanonienne et la certitude de sa finalité. Fanon, dans ce livre souvent peu connu, montre bien l'Algérie inconnue, une société écartelée entre son ancrage dans l'islam, sa religion essentielle, et l'avenir que le pays veut se donner. Observateur averti, il l'avait démontré déjà dès son premier livre. Dans "L'AN   V   DE LA REVOLUTION ALGERIENNE", Frantz Fanon confirme qu'il est un excellent visionnaire et un bon sociologue. Sa pertinence surprend encore aujourd'hui. Son essai sur la revolution algérienne a fait de lui, un des meilleurs observateurs de cette société musulmane. Son engagement lui a permis par la suite de mener de front son combat pour l'éveil de la conscience endormie des peuples africains et d'ailleurs. Témoin passion, Frantz Fanon a tenté de nous montrer le chemin à suivre. Il a surtout tenter aussi de montrer le développement d'un processus de libération au cours de cette lutte pour la liberté d'un peuple. Son livre répond à pas mal d'interrogations. La libération peut aussi s'acquérir sans les fusils ni les bombes. On le voit, le discours de Fanonest adhésif. A l'époque ce genre de discours était dérangeant pour le système colonial. "L'An  V  de la révolution algérienne" n'a pas échappé à la censure. Pour Fanon, la Révolution en profondeur, la vraie, parce que précisément elle change l'homme et renouvelle la société, est très avancée. Cet oxygène qui invente et dispose une nouvelle humanité, c'est cela aussi la Révolution algérienne, comme il la décrit si bien dans son livre, sur la cinquième année de la révolution des Algériens. 


Cet ouvrage est important à plus d'un titre, puisqu'il permet de mieux situer l'auteur, sa pensée et expliquer le sens de son engagement dans un pays qui n'est pas forcément le sien, mais qui peut être aussi de tous les hommes. L'Algérie ne fut qu'un test pour lui. Il pourrait  bien commencer dans sa pays natal, mais voilà, il est aussi le produit de cette émigration qu'un jour ou l'autre tout individu du tiers-monde est amener à effecteur ailleurs. 


Homme engagé, maître à penser pour les damnés de la terre

(A la mémoire de Marcel Manville, compagnon de Fanon)


Testament politique, le dernier livre de Frantz Fanon, "Les Damnés de la Terre"(paru d'abord aux Editions François Maspéro à Paris, en 1961, puis reédité à plusieurs reprises, traduit et lu dans le monde entier, et que les Editions La Découverte/Gallimard, ont repris) , ce livre est le meilleur de ces trois livres publiés de son vivant. "LES  DAMNES  DE  LA  TERRE" est l'aboutissement de ce grand penseur qu'est Frantz Fanon. On y trouve dedans tous les thèmes qui lui tenaient à coeur.   Les propos contenus, les analyses développées, font que cet ouvrage reste un Grand livre publié par celui qui dérangeait par sa sincérité. Il a éclairé les lampions de ceux qu'on a appellé jadis les peuples damnés, les peuples du Tiers-monde, fabriqués par le système injuste colonial. Frantz Fanon, Noir, originaire d'Afrique, Penseur donc, philosphe n'a pas laissé indifférent tout ce qu'il a pu écrire de l'Afrique. Il a lutter à sa manière contre toutes formes d'oppression ou d'injustice. Ses écrits restent encore actuels. Le racisme reste à combattre. Le nécolonialisme est toujours là. Toutes ces bêtises qui créent l'injustice, Fanon l'a vu et a essayé de les combattre. Il n'était pas toujours compris. Surtout pas auprès de ses propres frères, et il a fallu des années pour qu'on reconnaisse ses qualités de philosophe et de grand écrivain. Il s'était engagé de tout son corps pour combattre les injustices. Une consolation, il a vu juste et a visé juste. Puisque ses écrits restent encore de nos jours très valables. Bien entendu que Fanon reste encore d'actualié. Il a su capter les préoccupations des peuples damnés. Avec cette audace de le crier passionnellement. On a dit beaucoup de choses injustes à son encontre mais Frantz Fanon reste une voix valable de l'Afrique d'hier et d'aujourd'hui. Hier encore, ses trois ouvrages publiés étaient difficilement trouvables dans une quelconque librairie dans un pays du Tiers-monde. aujourd'hui, on peut les trouver. Il reste à les lire et à comprendre son message. 


Quarante-six ans après sa mort, Frantz Fanon est plus que vivant. En ce jour de l'anniversaire de sa disparition, plusieurs manifestations ont lieu un peu partout. Nous pensons précisément au Cercle Frantz Fanon.


Ce qui nous amène d'évoquer le souvenir d'un Ami que nous avons connu en 1998, à l'aéroport de Zürich et à Tripoli, où nous nous rendions pour une conférence en Libye, le pays de Mouhammar Kaddafi.


Cet ami s'appelle MARCEL MANVILLE. Un homme âgé, certes, mais dont la frâicheur de l'esprit nous a agréablement surpris. C'est lui qui nous a longuement parlé de son ami Frantz Fanon, son compatriote. Ils ont fait la guerre ensemble en France, (la deuxième guerre mondiale de 1939-1945), et qu'il avait retrouvé en Algérie dans le début des années soixantes. Fanon était médecin-psychiatre, et lui, un Avocat.


Nous profitons aussi de l'occasion pour lui rendre un Grand Hommage. Grâce à lui, nous avons eu approfondir notre connaissance sur son compagnon Frantz Fanon. A Tripoli, nous habitions dans le même Hôtel El Mehari, et tous les soirs, j'allais le retouver et nous allion manger au restaurant. Esnuite, il m'invitait pour une promenade au bord de la mer, et dans les souks. 


Marcel Manville fut le fondateur du Cercle Frantz Fanon, pour perpétuer les oeuvres de son ami Frantz Fanon. Il est lui-même l'auteur d'un seul livre autobiographique "Les Antilles sans fard" publier aux Editions L'Harmattan à Paris, en 1992, dans lequel il apporte encore un témoignage sur la jeunesse et la vie de Fanon.
Marcel Manville m'a dédicacé son livre. Je garde encore les souvenirs des photos qu'on avait fait en Afrique du Nord (Tripoli : Promenades dans la ville, dans les souks pour les achats des souvenirs libyens, etc...) que je conserve jalousement en souvenirs. Mon ami, mon grand papa, Marcel Manville nous a quitté la même année, en décembre 1998, en pleine playdoirie dans un tribunal parisien ! Une mort qui nous a affecté. Son action sur le Cercle Frantz Fanon se poursuit et existe toujours. Chapeau à l'ami et Papa Manville !!!

Aujourd'hui, nous avons encore besoin des hommes comme Fanon pour nous éclairer de la nuit qui continue de nous obscurcir. Nous vous que les Damnés de la terre ne soient plus "damnés" du tout. C'est un combat pour tous les hommes épris de justice et de paix. Une façon pour tous les humains que nous sommes tous les hommes de la même planète, et qu'en nous tenant la main, on bâtira un monde plus juste. 

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16 mai 2010 7 16 /05 /mai /2010 12:41

Lu pour vous

Joseph Tonda, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique Centrale (Congo, Gabon)

 Paris, Karthala, 2005, 297 p. 

Denise Brégand

 

La lecture du Souverain moderne, immersion entre réel et imaginaire, donne le vertige, et c'est une entreprise périlleuse, peut-être même impossible, que de vouloir en rendre compte. Ce livre fait suite à un précédent ouvrage, La guérison divine en Afrique Centrale (Karthala, 2002). Joseph Tonda pratique une anthropologie dans laquelle « l'imaginaire n'est pas l'irréel, mais l'indiscernabilité du réel et de l'irréel » selon la formule empruntée à Gilles Deleuze. Il développe des concepts qui lui permettent de théoriser les violences inouïes dont l'Afrique centrale a été le théâtre. Il écrit de l'intérieur de cette situation, en ayant l'humilité de ne pas se placer au-dessus d'elle, décortique les concepts exprimés dans les langues des acteurs, se trouve lui-même amené à vivre la violence de la guerre comme au cinéma et c'est une des singularités de cet ouvrage : l'auteur de cette contestation radicale se déclare pris dans le principe qu'il dénonce.

 

 Il explicite ses concepts dans une longue introduction dont la première phrase assène le sujet : « Une puissance hégémonique unique instruit et administre le rapport aux corps, aux choses et au pouvoir en Afrique centrale : le Souverain moderne ». Concept central de l'anthropologie politique de Joseph Tonda, le « Souverain moderne » (SM) ne désigne pas l'incarnation du pouvoir, le dictateur, bien que ce dernier y participe, c'est un rapport social qui englobe ses agents et ses victimes. « Son principe est la violence de l'imaginaire, violence du fétichisme », phrase-leitmotiv qui revient tout au long de l'ouvrage. Alors que les anthropologues n'osent plus utiliser la notion de fétichisme entachée de préjugés colonialistes, Joseph Tonda « (re)prend très au sérieux » ce concept en y intégrant les apports de Marx pour le fétichisme de la marchandise, de Freud pour « les choses du corps », de Bourdieu pour le « fétichisme du corps politique » (p. 25). Ces trois auteurs n'appréhendent pas le fétichisme comme élément résiduel de sociétés dites « de la tradition », mais au contraire comme produit de la société chrétienne et capitaliste. Joseph Tonda se situe dans une anthropologie de la modernité et de la rupture. Les sociétés lignagères n'ont pas produit le SM, celui-ci se déploie à partir de la rupture qu'a constituée la colonisation reproduite par la postcolonie. Un demi-siècle après la Sociologie des Brazzavilles noires de Georges Balandier (Presses de la FNSP, 1985, 1re éd. 1955) qui débutait ainsi : « La fabrique de la nouvelle Afrique, c'est la ville, pour le meilleur et pour le pire », Joseph Tonda analyse « la violence du fétichisme » dans « les camps » que sont les villes d'Afrique centrale, à l'ère de la globalisation.

 

 La puissance du SM va de pair avec la logique des camps, « non-lieux lignagers », tels les camps militaires, les camps de travail, mais aussi les quartiers des mégapoles, les territoires de la sorcellerie. Le concept de « camp », « non-lieu lignager », est inséparable de celui de déparentèlisation, d'éclatement de la société lignagère, d'arrachement de la personne à ses structures d'appartenance. La déparentèlisation jette des individus sans ressources et sans attache, dans les « camps » des villes où le travail de l'imagination produit des ethnicités inventées (par exemple Tcheks et Niboleks) où l'imagination pentecôtiste les lance à la chasse au TMCD (Très Mauvais Cœur du Diable). Cette force de l'imagination dans les « non-lieux lignagers » que sont les camps est à rapprocher du travail de l'imagination dans les masses migrantes déterritorialisées qu'étudie Appadurai (Arjun Appadirai, Après le colonialisme, les conséquences culturelles de la globalisation, Payot, 2001 ; The Regents of the University of Minnesota, 1986).

 

 Mais la globalisation n'a pas balayé les imaginaires des sociétés lignagères, « le temps propre aux sociétés lignagères, claniques » télescope « le temps linéaire du fétichisme marchand », ce télescopage produit la temporalité africaine qui entre en collision avec les temporalités des blancs, ce télescopage des imaginations se produit dans une même contemporanéité.

 

 La prolifération des Églises, versant religieux de la globalisation, cohabite avec la sorcellerie dont l'auteur rappelle que pour les sujets concernés, la question n'est pas de « croire en » la sorcellerie puisque celle-ci est une réalité sociale, quotidienne. Il y eut, écrit-il, « conversion négative » de la culture africaine au christianisme : au lieu de conversion en Dieu, il y aurait eu conversion en diable. Voilà qui diabolise sans appel les expressions religieuses contemporaines en Afrique ! Le pentecôtisme qui interprète la maladie, le malheur, comme signes de la présence du diable attise la violence de l'imaginaire, le même constat pourrait être fait sur le continent américain, mais la singularité de la situation qu'analyse Joseph Tonda tient au choc des deux imaginaires : le sorcier et le pentecôtiste, et selon la thèse développée dans l'ouvrage, cette collision génère une violence physique constitutive du SM et constituée par lui. Une des thèses centrales de l'ouvrage est en effet que la puissance du SM, c'est la culture africaine (avec sa sorcellerie) digérée et dirigée par le diable chrétien.

 

 Tout en développant une anthropologie de l'imaginaire, l'auteur n'ignore ni les conditions matérielles d'existence qui sont à la fois la condition et la conséquence de cette situation, ni le rapport dialectique qui se joue en permanence entre la réalité et l'imaginaire. Le sous-titre : « Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon) », annonce une anthropologie politique déployée à travers l'analyse de l'usage et de l'image des corps. La violence physique s'exerce sur les corps, corps réels et imaginaires très présents tout au long du texte. Joseph Tonda forge le concept de « corps-sexe », corps tout entier imaginé comme sexe, marchandisé et livré au pillage : le viol est assimilé au pillage des corps, et le pillage des choses est source de jouissance. Le pillage des corps et des choses, constitutif des pratiques barbares qui explosent dans les guerres, y compris les plus contemporaines sur le continent européen, n'est pas spécifique au SM en Afrique centrale. Le « corps-sexe », c'est aussi le « corps de la puissance que l'on cherche à acquérir à travers la mise en pièces (détachées) du corps » (p. 147). Au Gabon circulent des récits dans lesquels il est question de « meurtres rituels », de « sacrifices rituels » dans le but de prélever des « pièces détachées : langues, mains, oreilles, crânes, cœurs, organes génitaux » qui servent à fabriquer les fétiches nécessaires à la conquête et à la conservation du pouvoir.

 

 Le corps est donné à voir « ciré, poncé, saignant, frais et cuit » à Libreville (p. 216). Ces corps exhibés « consommés/consumés », renvoient explicitement à la dépense selon Bataille. Joseph Tonda développe ce concept à partir de son expérience de la guerre dans le Camp-nord au Congo-Brazzaville (p. 197). Il fait une analyse très fine de la notion de « manger », et des changements qui affectent le régime de la manducation. Il revisite le concept de « politique du ventre », par lequel « l'imaginaire non scientifique (est) repris par l'imaginaire scientifique » (p. 120) désigne le « règne de la force destructrice du vumu, le ventre individuel » (p. 120) qu'il distingue du moyo, le ventre lignager. Or, selon l'auteur, c'est le moyo, la force de travail du lignage, qui a été vendu dans la logique du capitalisme, aux différentes figures du SM.

 

Cette anthropologie du corps : corps fétiche, corps exhibé, corps démantelé, s'intéresse aussi au cadavre : l'auteur analyse les mutations qui affectent les rituels funéraires de la mort déparentèlisée : des bandes de jeunes promènent le cadavre, des corps-sexes nus s'affichent dans les veillées organisées par les mêmes jeunes. La télévision exhibe les cadavres, « le SM promeut la mort, la publicise, la met en boîte », et le corps mort devient fétiche du SM, le mort ne devient plus un ancêtre, mais un zombie. Cette fascination de la mort établit un lien de parenté entre le SM et les fascismes qui ont marqué l'histoire de l'Europe au xxe siècle, dont le nazisme et le franquisme avec son cri de ralliement « Viva la muerte ».

 

Zombies, spectres et fantômes parcourent l'ouvrage, et le lecteur non spécialiste de ces entités les différencie avec difficulté. « À quoi reconnaît-on un fantôme ? À ce qu'il ne se reconnaît pas dans un miroir » (citation de Derrida, p. 164). Le fantôme est un mort qui vient harceler les vivants, mais qu'en est-il du zombie ? Est-il un vivant dont le principe vital a été dévoré, un corps sans âme issu du syncrétisme entre la sorcellerie et le christianisme (qui fournit l'âme), « Un Zombie est une personne qui a un air absent, amorphe », ou un mort qui ne fait plus peur (p. 232) lorsqu'il est vu, par exemple à la télévision ou cinéma, vivant après sa mort ?

 

Finalement, Joseph Tonda traite à sa manière, en les insérant dans le dispositif du SM, des sujets classiques en ethnologie : les régimes matrimoniaux, les techniques du corps, l'analyse des rituels, la mort. Mais, pour reprendre la définition de Marc Augé, le sujet de l'anthropologie, c'est d'abord l'altérité des autres, et dans ce cas, l'autre, c'est le Blanc, qui tel un fantôme (ou un spectre ?) hante le livre « Le Souverain moderne ». Sous le règne du SM, les « choses des Blancs » sont devenues des fétiches (la Science, les machines, Dieu, l'argent, de Gaulle qui donne son nom à une danse, le Ngol, recyclage du règlement colonial). Par son omniprésence physique ou spectrale, par sa magie (c'est, dit l'auteur, une tautologie de parler de la « magie des Blancs »), le Blanc interfère dans le SM, faisant des agents de ce dernier « des agents doubles, à la fois de “la culture africaine” et de la mondialisation capitaliste » (p. 8). Le kalaka au Congo, l'otangani au Gabon (« celui qui compte », terme désignant à la fois le Blanc et l'évolué), en constituent la figure idéal-typique.

 

Le règne du SM se déploie dans des contrastes : des groupes sociaux fonctionnent dans des temporalités contradictoires, mais participent tous du SM : « Les différentes figures du SM tiennent en esclavage dominants et dominés, sujets aux mêmes effets de fascination du caractère fétiche de leur pouvoir » (p. 178). Comme dans la dialectique hégelienne du maître et de l'esclave, le maître n'est pas libre non plus, mais ne court-on pas le risque, par cette impression de surdétermination, de voir les dictateurs exonérés de leur responsabilité dans les désastres et les massacres qui frappent les pays qu'ils gouvernent ? Cet ouvrage, dans lequel le marxisme se lit en filigrane est écrit sous le signe du « nouveau désenchantement » et sa lecture ne laisse entrevoir aucune issue politique. Joseph Tonda, en référence à l'ouvrage de Gérard Althabe « Oppression et libération dans l'imaginaire » interroge la possibilité d'émancipation et conclut : « Il n'y a de libération dans l'imaginaire qu'en s'émancipant complètement de l'idéologie. Or cette émancipation complète n'est pas possible sans entrer dans la désubjectivation complète : la folie. » (p. 258). Qu'en est-il alors de l'intellectuel qui démonte les rouages de ce système ?

 

Dans cette anthropologie de la globalisation, une partie des analyses concernant les « camps » des grandes villes africaines entre en résonance avec les phénomènes urbains du monde occidental : la déparentèlisation s'accompagne de l'émergence des femmes comme chefs de famille dans les villes d'Afrique centrale comme dans les quartiers à fort taux de chômage des villes du monde occidental. Le fétichisme de la marchandise, dans lequel la valeur d'échange remplace la valeur d'usage, constitutif du capitalisme comme du SM, est ancré dans les imaginaires occidentaux depuis beaucoup plus longtemps qu'il ne façonne les imaginaires africains. Il en est de même de l'imaginaire cinématographique et télévisuel, et des « reality-shows » qui donnent la violence et la mort en spectacle. Joseph Tonda traite longuement du fétichisme de l'image qui se traduit de la même manière en Afrique centrale et en Occident avec « les griffes » et la tenue vestimentaire, marqueur identitaire, et dans ce monde où les structures de référence se sont effondrées, ici comme là-bas, des « miroirs anormaux » ne renvoient pas l'image attendue (citation de Derrida p. 80). Les problèmes économiques et sociaux et la violence qui frappent les espaces de la marge, les camps dans le camp, constituent en Afrique centrale la version paroxystique de la situation vécue dans les zones péri-urbaines de relégation des grandes villes occidentales, « La violence qui est faite à l'ordre colonial lors des émeutes apparaît comme le retournement contre celui-ci de sa propre violence par des sujets produits par des dispositifs de son système de domination : le cinéma, la ville, le chômage, la marginalité. » (p. 115) ; il suffit de transposer aux récentes violences urbaines.

 

Il n'est pas possible de rendre compte de toute la richesse de cet ouvrage très dense dans le contenu et dans la forme. La difficulté tient au fait que Le Souverain moderne est un ouvrage théorique et en même temps absolument subjectif, mais un tel ouvrage ne peut exister que parce que son auteur écrit de l'intérieur des langues et des concepts des groupes vivant sous le règne du SM. Cette intimité est certainement la raison pour laquelle le lecteur se trouve, à son tour « pris dans » cette histoire. Le sujet traite de l'enfermement, et le style, très littéraire, contribue à cette impression : les définitions des concepts reviennent comme des leitmotivs, dans une redondance travaillée, le rythme de la phrase et les énumérations aboutissent à un effet de saturation. Cependant, la lecture du SM emmène au-delà des difficultés théoriques de l'ouvrage et des développements concernant l'imaginaire, car à chaque instant il est rappelé qu'il s'agit d'une situation réelle, quotidienne, vécue par des hommes réels, y compris l'auteur.

 

 

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21 janvier 2010 4 21 /01 /janvier /2010 01:07

20 janvier 2010
Hamidou Ouédraogo
L'Observateur Paalga 


« Intégration des langues et des cultures africaines dans l’éducation » ; c’est le thème d’une conférence panafricaine qui débute aujourd’hui 20 janvier 2010 à Ouagadougou. Les organisateurs (l’Association pour le développement en Afrique (ADEA), l’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie (UIL) et le ministère burkinabè en charge de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation) ont entretenu les journalistes, hier 19 janvier, des défis et enjeux de ces assises.

Le ministre de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation (MEBA) du Burkina Faso, Odile Bonkoungou, le secrétaire exécutif de l’ADEA, Ahlin Byll-Cataria et le directeur de l’UIL, Adama Ouane, étaient hier face à un parterre de journalistes venus de plusieurs pays d’Afrique. Il s’agissait d’échanges, en prélude à la conférence sur l’intégration des langues et des cultures africaines qui s’ouvre aujourd’hui dans notre capitale.

L’Afrique, a fait remarquer le premier intervenant, Adama Ouane, est le seul continent où dans la plupart des pays, depuis un demi-siècle, les enfants entrent à l’école et commencent l’apprentissage dans une langue étrangère. Des recherches et des expériences réussies avec des avantages certains, selon lui, existent cependant et prouvent qu’il est possible d’introduire dans l’éducation les langues et cultures qui véhiculent toutes les connaissances scientifiques. C’est ce que l’ADEA, a-t-il dit, en association avec l’UNESCO et le gouvernement burkinabè, en organisant cette conférence des ministres en charge de l’Education à Ouagadougou, veut faire partager.

De son point de vue, aujourd’hui il n’y a plus de problèmes techniques, car on a la capacité, la connaissance et les moyens pour surmonter les obstacles dans ce domaine. En témoignent, selon lui, les expériences concluantes dans certains pays africains dont le Burkina, le Malawi et l’Ethiopie. Toujours selon M. Ouane, l’intégration des langues et des cultures africaines dans l’éducation, contrairement à ce que pensent certains, n’est pas coûteuse mais constitue plutôt un investissement.

Ce fut l’occasion pour la ministre Odile Bonkoungou de vanter l’expérience du Burkina en matière d’enseignement bilingue. A en croire cette dernière, la solution à certains défis de l’expansion quantitative de l’offre éducative et de l’amélioration de la qualité de l’éducation est trouvée avec l’intégration des langues dans l’enseignement. C’est le fait, selon elle, de faire recours aux langues nationales ayant des éléments constitutifs de la culture véhiculant des valeurs qui doivent être inculquées à tout citoyen, qui s’identifie d’abord à sa culture. Partant donc de conclusions de différentes études et expériences réussies, le Burkina Faso, conclut Odile Bonkoungou, a fait l’option de l’introduction des langues dans son système éducatif, assortie d’une base légale qui est la loi d’orientation de l’éducation adoptée en juillet 2007 et qui accorde une place de choix à la langue. Un telle option présente l’avantage, selon elle, de ramener le cursus scolaire de 6 ans (dans les écoles classiques) à 5 ans (dans celles bilingues).

Ahlin Byll-Cataria, secrétaire exécutif de l’ADEA, a, à son tour, présenté son institution qui se veut un forum de dialogue politique et qui a pour objectif de constituer un pôle interpays regroupant plusieurs acteurs politiques et de la société civile. Dialoguer sur les problèmes de l’éducation en Afrique, les défis majeurs et les enjeux et, surtout, réfléchir ensemble sur les solutions novatrices à apporter à ces difficultés, tel est l’objectif visé par l’ADEA, qui fait l’analyse des programmes d’éducation en Afrique pour ainsi dégager leurs forces et faiblesses et des pistes porteuses à privilégier. Il s’agit d’œuvrer à la capitalisation d’expériences novatrices réussies en Afrique et méritant d’être vulgarisées au sein de la communauté éducative africaine.

Cette conférence, a indiqué Byll-Cataria, vise à tirer les leçons des expériences porteuses en termes de lignes directrices à même d’être proposées aux autres pays désireux d’introduire les langues africaines dans leur système éducatif. La finalité est surtout, selon lui, de pouvoir constituer, au terme de la conférence, des pôles de qualité interpays sur l’utilisation des langues africaines dans l’éducation et dont les conclusions seront suivies d’une concrétisation au sein d’un certain nombre de pays.

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16 juillet 2009 4 16 /07 /juillet /2009 13:15

16 juillet 2009

Vient de paraître aux éditions L’Harmattan

« Les grandes puissances et le pétrole africain. Etats-Unis – Chine : une compétition larvée pour l’hégémonie planétaire »

ISBN : 978-2-296-09930-2. Prix : 19 euros.


Mesdames, Messieurs,
Chères amies et Chers amis,

Nous avons le plaisir de vous annoncer la sortie de notre nouvelle publication depuis le 8 juillet : « Les grandes puissances et le pétrole africain. Etats-Unis – Chine : une compétition larvée pour l’hégémonie planétaire », Paris, éditions L’Harmattan, 2009, 199 pages.

Ce livre de Fweley Diangitukwa traite les principaux thèmes suivants :

·       L’importance des ressources naturelles dans l’histoire économique. Comment elles ont déterminé les grands conflits dans le passé.

·       La répartition des ressources naturelles dans le monde et le contrôle des voies d’acheminement. La gestion du pétrole africain par les grandes puissances et les mécanismes de pillage des ressources des pays du tiers-monde qu’occultent les manuels et les médias officiels occidentaux, mais aussi la question du pétrole au Moyen-Orient, en Amérique latine et dans la politique internationale. Les différents chocs pétroliers. L’usage de la force pour se procurer du pétrole et les autres ressources naturelles.

·       Pourquoi le pétrole africain est devenu un enjeu géopolitique mondial. La mainmise étrangère sur le pétrole africain et le rôle des grandes puissances et des multinationales dans les mécanismes d’appauvrissement de l’Afrique. La stratégie des compagnies pétrolières transnationales pour dominer l’Afrique, les relations Nord-Sud, Chine-Afrique, le rôle des médias, les causes de la pauvreté, la déception des Africains et les moyens pour s’en sortir. La gestion du pétrole va déterminer les grands conflits des années à venir dans les pays du tiers-monde et particulièrement en Afrique.

·       La compétition entre les Etats-Unis et la Chine pour acquérir le pétrolier africain parce qu’il est peu sulfureux et très bon marché. L’équipe du président Bush et la passion du pétrole. Les stratégies chinoises pour séduire les dirigeants africains. Les pays occidentaux critiquent sévèrement la politique chinoise mais n’améliorent pas la leur en Afrique.

·       L’épuisement du pétrole n’est pas une fiction mais bien une réalité à laquelle le monde fera face dans un proche avenir. La lente renaissance de la guerre froide.

·       Conclusion : comment les Africains vont-ils s’organiser pour devenir propriétaires de leur pétrole et de toutes les ressources naturelles afin d’amorcer le décollage économique de leur continent et de vaincre la pauvreté ?

Les associations et groupes qui souhaitent organiser un débat avec Fweley Diangitukwa sur les questions traités dans le livre peuvent contacter directement l’auteur. Une tournée de débats aura lieu en France, en Suisse, en Belgique et en Grande-Bretagne mais aussi dans d’autres pays sur demande. Si votre association est intéressée, veuillez le signaler, dès que possible, à l’auteur en lui envoyant un e-mail : afriquenouvelle@bluewin.ch

Merci pour votre intérêt !


« Les grandes puissances et le pétrole africain » est un livre fondamental et passionnant dans lequel se trouvent des clés qui permettent de comprendre les difficultés que rencontre le continent africain dans son développement.

Pour se procurer le livre, veuillez contacter, Mme Virginie ROBERT, éditions L’Harmattan, Tél. : 00 33 (0)1 40 46 79 23 ou vous adresser directement à l’auteur : afriquenouvelle@bluewin.ch ou aux éditions Afrique Nouvelle, case postale 112, 1806 Saint-Légier, Suisse ou encore adresser simplement et directement votre demande à une grande librairie de votre ville d’habitation en indiquant le numéro ISBN : 978-2-296-09930-2.


Les publications de l’auteur aux éditions L’Harmattan :

- Migrations internationales, codéveloppement et coopération décentralisée (essai), Paris, 2008, 290 pages. Préface de M. Mohamed Sahnoun, Ancien envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations Unies dans la région des Grands Lacs.

- Les fraudes électorales. Comment on recolonise la RDC, Paris, 2007, 226 pages.

- Le règne du mensonge politique en RD Congo. Qui a tué L.-D. Kabila ?, Paris, 2006, 135 pages.

- Géopolitique, intégration régionale et mondialisation (essai), Paris, 2006, 319 pages.

- Qu’est-ce que le pouvoir ? (essai), Paris, 2004, 276 pages

- Pouvoir et clientélisme au Congo-Zaïre-RDC (essai), Paris, 2001, 308 pages.

- Qui gouverne le Zaïre ? La République des copains (essai), Paris, 1997, 337 pages. Préface de Jean-Claude Willame, ancien professeur à l’Université catholique de Louvain, Belgique.

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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 20:46

Lu pour vous le 8 mars 2009
Denise EPOTE

http://www.tv5.org/cms/cinema/p-779-Les_cinemas_d_afrique.htm

Amiens, Bamako, Carthage, Johanesbourg, Los Angeles, Londres, Marrakech, Milan, Montréal, Namur, New-York, Ouagadougou, Venise, Yaoundé. Toutes ces villes célèbrent chaque année avec plus ou moins de faste les Cinémas d'Afrique.

Ces festivals sont pour ce cinéma qui circule peu, de véritables vitrines  mais également forums au cours desquels sont discutés les problèmes que rencontre régulièrement la majorité des réalisateurs du Sud. En quête perpétuelle de financement, les réalisateurs sont tous aujourd'hui par la force des choses devenus des producteurs. Chaque projet de film nécessitant quatre années voire plus de préparation, on ne comprend que mieux la faiblesse de la production annuelle sur le continent, et tout le mérite qui revient à ceux qui réussissent avec brio cet épuisant parcours du combattant.

D'où le sentiment de fierté qu'affichent les réalisateurs qui arrivent dans les festivals avec les bobines de leur film précieusement serrées contre leur coeur.

La petite histoire du FESPACO raconte qu'un réalisateur dont nous tairons le nom avait jusqu'au jour de la projection, refusé de quitter sa chambre et dormi avec les bobines de son premier long métrage coincées sous l'oreiller. L'histoire ne dit pas si le réalisateur remporta ou pas l'Etalon d'Or, d'Argent ou de Bronze.

Mais pour certains réalisateurs, peu importe de remporter un prix. L'essentiel est que leur oeuvre soit regardée par le plus grand nombre. Aussi être retenu dans la sélection d'un festival, c'est déjà la consécration.

Autre drame que vivent les réalisateurs, la disparition des salles de cinéma. De Dakar à Naïrobi et de N'djamèna à Kinshasa, toutes les salles ont les unes après les autres définitivement fermé leurs guichets au grand dam des cinéphiles qui à la place ont vu pousser des centres commerciaux. "Des Cinémas pour l'Afrique" l'association que vient de lancer le réalisateur Abderrahmane Sissako pour réhabiliter les salles de cinéma mérite d'être saluée et soutenue. Si à Bamako, le cinéma Soudan venait à retrouver son prestige d'antan, alors tous nous aurons le droit de rêver et de retrouver le plaisir d'aller au cinéma.

D'ici là, il faudra se contenter du petit écran. Chaîne de la diversité culturelle et des regards croisés, TV5MONDE grâce à une politique de pré-achat a pris le parti d'être "la plus grande salle de cinéma du monde". Pour nos téléspectateurs situés aux quatre coins du monde, les talents d'un Sembène Ousmane, d'une Fanta Régina Nacro, d'un CHeick Oumar Sissoko, d'un Gaston Kaboré, d'un Bassek ba Kobhio, d'un Johnson Traoré, d'un Med Hondo, d'un Souleymane Cissé, d'un Youssef Chahine, d'un Mahamat Haroun Saleh, d'un Pierre Yaméogo, d'un Mweze Ngangura, d'un Moussa Touré, d'un Mansour Sora Wade n'ont plus de secret. A TV5MONDE, nous sommes fiers d'avoir contribué à décloisonner les cultures.

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11 février 2009 3 11 /02 /février /2009 22:10

10 février 2009
Ouestafnews

 

L’économiste sénégalais, Sanou Mbaye, ancien fonctionnaire de la Banque Africaine de Développement (BAD) vient de publier un livre intitulé « l’Afrique au secours de l’Afrique », ouvrage qui selon son éditeur « propose un large éventail de solutions novatrices qui permettront aux Africains de prendre en main leur propre développement ». 

« Depuis les indépendances, le modèle de développement imposé à l’Afrique par l’Occident est un véritable échec », affirme la note de présentation qui accompagne le livre parvenu à Ouestafnews.

Disponible en librairie depuis le 15 janvier, l’œuvre de Sanou Mbaye « dissèque les causes structurelles de cette faillite ».

Au nombre des accusés figurent certes le modèle de développement imposé au lendemain des indépendances à l’Afrique ainsi que les institutions de Bretton Woods, (Banque Mondiale et Fonds monétaire international), mais aussi les « élites africaines ».

Le livre qui compte 160 pages se veut aussi une contribution au combat panafricaniste et salue dès son introduction de grandes figures du continent, dont les deux universitaires et historiens que sont le Sénégalais Cheikh Anta Diop et le burkinabè Joseph Ki-Zerbo, tous deux des hommes politiques également.

Le livre est une publication des « Editions de l’atelier ».


Son auteur Sanou Mbaye est un ancien fonctionnaire de la BAD connu sur le continent pour ses chroniques sur l’économie et le développement en Afrique souvent publiées dans les grands médias internationaux.

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8 février 2009 7 08 /02 /février /2009 13:55

A lire: L'argent noir, corruption et sous-développement
De Pierre Péan, publié chez Fayard en septembre 1988
ISBN : 9782213022048

 

Un catalogue des pratiques de la corruption accompagnant les grands contrats, principalement en Afrique. L'ouvrage montre comment l'Occident a tiré profit de la cupidité et de la mégalomanie de la plupart des dirigeants du Tiers-Monde: ventes d'armes, dépenses somptuaires, usines rouillées dans les caisses non ouvertes des expéditeurs. 

Est-ce pudeur, honte ou hypocrisie? Nul ne se hasarde vraiment à parler de corruption. De temps à autre, un scandale éclate, dont le bruit s'éteint vite, et les pots-de-vin, commissions et autres bakchich continuent leurs parcours discrets, comme devant. Or la corruption n'est pas uniquement une pratique répandue que seule la morale privée réprouverait. Pour de nombreux pays, parmi les plus démunis, la corruption est un véritable drame: elle ronge les cadres dirigeants, elle ruine les ressorts du peuple, elle détourne vers divers paradis fiscaux des ressources indispensables. Bref, elle appauvrit encore les plus pauvres. 

Depuis le début des années 70, le quadruplement des prix du pétrole, le gonflement de la dette du Tiers monde, elle est devenue l'une des causes majeures du sous-développement. Il n'existe pas de corrompus sans corrupteurs. Certaines élites tropicales ou équatoriales portent une lourde part de responsabilité dans la misère de leur pays. Mais que dire de nos industriels, soutenus fidèlement par nos gouvernements, qui vendent au Tiers monde ces " éléphants blancs ", usines inutiles, cathédrales de béton, routes qui ne mènent nulle part, projets sans autre objet que de fabriquer du chiffre d'affaires au Nord et des pots-de-vin au Sud? L'affairisme du Nord, la corruption du Sud sont les facettes d'une même attitude: un mépris aveugle ou cynique de l'intérêt général. 

A sa manière habituelle, sans circonlocutions ni complaisances, citant des noms, des faits, des chiffres, Pierre Péan nous ouvre cette fois les portes de l' " argent noir ". Nul doute qu'après Affaires africaines ou le dossier des " avions renifleurs ", cette nouvelle enquête fera grincer des dents: au Sud comme au Nord, le silence en ce domaine arrange bien des gens. 

Né en 1938, diplômé d'Etudes supérieures de Sciences économiques, Pierre Péan fut notamment collaborateur à l'Agence France Presse, à L'Express, aux Informations, avant de devenir grand reporter au Nouvel Economiste jusqu'en octobre 1982.
Il a publié de nombreux ouvrages dont Les Emirs de la République (1982), Les Deux Bombes (1982), Affaires africaines (1983), V, L'Affaire des avions renifleurs (1984), Secret d'Etat (1986), L'Argent noir (1988), L'Homme de l'ombre (1990), Vol UT 772 (1992), Le Mystérieux Docteur Martin (1993) et Une jeunesse française, François Mitterrand (1994). Des Affaires africaines à la biographie de Jacques Foccart, Pierre Péan est reconnu comme l'un des journalistes d'investigation les plus audacieux et opiniâtres de sa profession.

Pierre Péan est néanmoins un auteur controversé. 

Ainsi, il s’est retrouvé sur le banc des accusés pour son livre sur le génocide rwandais "Noires fureurs, blancs menteurs", publié en novembre 2005 chez Fayard, sous le chef d’inculpation de diffamation et incitation à la haine raciale, suite à une plainte déposée par l’Association SOS Racisme, estimant que l’occasion était une fois de plus donnée à certains milieux en France d’exprimer tout leur mépris pour le nègre! 

L'association et le ministère public avait reproché à l'écrivain d'affirmer que les Tutsis recourent systématiquement au "mensonge" et à la "dissimulation"». "On peut écrire sur le Rwanda, mais pas dire n'importe quoi n'importe comment", avait déploré le procureur, regrettant que Pierre Péan n'ait eu "ni recul ni critique" dans son ouvrage.

En conclusion, l’oeuvre de Pierre Péan est à lire avec un esprit critique toujours en alerte.

 
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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 20:51

Comédie dramatique, réalisée en 2007.

Dans un futur imaginaire, l’Afrique est entrée dans une ère de grande prospérité, tandis que l’Europe a sombré dans la misère et le sous - développement.
Olivier informaticien sans travail est prêt à tout pour en trouver, vit avec Pauline, institutrice elle aussi au chômage. Vu leur situation déplorable en France ils décident de tenter leur chance en Afrique où ils immigrent clandestinement.

 

A peine arrivés, ils sont arrêtés par la police des frontières et incarcérés dans une résidence de transit, en attendant d’être renvoyés en France. Olivier parvient seul à s’échapper.

Il commence alors une vie de clandestin, jusqu’au jour où il récupère les papiers et endosse l’identité d’un blanc tué dans un accident de voiture. Entre-temps, Pauline accepte un poste de bonne dans une famille bourgeoise africaine…

 

Le réalisateur 

Né le 31 décembre 1964 au Bénin , Sylvestre AMOUSSOU vivant en France depuis une vingtaine d’années décide de se tourner vers le métier de réalisateur après avoir été comédien. En effet le manque de rôles intéressants proposés aux noirs en France et la très forte envie d’exprimer certaines de ses idées ne lui laisse pas d’autres choix que d’aller derrière la caméra.
Après plusieurs courts-métrages il décide de réaliser son premier long-métrage AFRICA PARADIS.

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12 décembre 2008 5 12 /12 /décembre /2008 10:28

Publié le 13 février 2007
Capucine Légelle / Grioo.com 


Moins connu que Césaire et Senghor, Léon Gontran Damas fut pourtant un des membres du trio le plus illustre de la littérature noire francophone. Promoteur de la conscience noire, il s'illustra dans la défense des droits des peuples noirs sur toute la planète.

D’origine africaine, amérindienne et européenne, « les trois fleuves qui coulent dans ses veines » comme il l’expliquera dans Black Label en 1956, Léon Gontran Damas est avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor un des fondateurs de la Négritude.

Considérant indispensable de s’engager dans la lutte contre le racisme et pour l’avènement d’une conscience noire internationale, il oeuvrera au niveau mondial, autant en politique qu’en littérature. 

Genèse
 

Damas a vu le jour le 28 mars 1912 à Cayenne, quelques minutes seulement après sa sœur jumelle, Gabrielle, qui mourra en bas âge. Il est le dernier des cinq enfants de Marie Aline, martiniquaise, et Ernest Damas, guyanais ; respectivement métisse amérindienne-noire et métis noir-européen.

Marie Aline meurt à 35 ans, la fratrie est alors confiée à une tante paternelle, Gabrielle Damas. Le petit Léon Gontran, âgé d’un an seulement lors du décès de sa mère, est élevé par cette dernière, qu’il appelle affectueusement Man Gabi et dont il parlera dans ses écrits.

A douze ans l’enfant est envoyé en Martinique afin de continuer sa scolarité au lycée Victor Schoelcher. Il y rencontre celui qui deviendra un de ses plus proches amis et avec qui il accomplira l’œuvre de sa vie : Aimé Césaire.

Négritude
 

En 1928 Damas a 16 ans, il part suivre des cours de droit, de russe et de japonais en métropole. Révolté par l’ignominie du colonialisme, il oriente ses études en conséquence, fréquentant des milieux jugés subversif par sa famille qui renonce à l’entretenir. Pour subvenir à ses besoins, le jeune homme est obligé de travailler parallèlement à son apprentissage.

Il retrouve son complice martiniquais un an plus tard et c’est à Paris que les deux jeunes gens rencontrent celui qui complétera le plus illustre trio de la littérature noire francophone, le sénégalais Léopold Sedar Senghor. La petite équipe ne tarde pas à s’associer pour rédiger l’Etudiant Noir, dont le premier numéro est publié en 1935.

Cette revue littéraire pose les jalons d’un mouvement dont l’ampleur reste inégalée, la Négritude. Elle affirme à l’Occident qu’il ne détient pas le monopole de la culture et impose une véritable conscience noire, puisant ses racines sur le continent africain. D’autres courants viendront plus tard la contredire, comme la créolité défendue par Chamoiseau ou Confiant et réfutant la thèse de l’unique filiation noire pour affirmer une vraie identité caribéenne, loin des origines africaines ancestrales.
 

Conscience noire

Mais Léon Gontran Damas ne se contente pas de la francophonie. Il est bouleversé à son arrivée en France par le racisme et les discriminations, qu’il ne connaissait pas encore. Il découvre l’ampleur de l’injustice et dès lors, il se sent concerné par le combat des noirs tout autour de la planète.

Il s’intéresse notamment aux Etats-Unis, dont la situation est à l’époque dramatique : ségrégation, lois Jim Crow, Ku Klux Klan ; la lutte pour les droits civiques n’en est qu’à ses balbutiements. Damas se rapproche des écrivains afro américains Countee Cullen, Richard Wright, Alan Locke et Langston Hughes, dont il écrit la biographie.

En 1937, le guyanais publie son premier recueil de poèmes, Pigments, qui le fera aussitôt entrer dans le cercle très fermé des intellectuels français reconnus. L’ouvrage sera saisi et interdit en 1939 au motif d’atteinte à la sécurité de l’Etat.

Engagement politique
 

Survient alors la Seconde Guerre Mondiale : Damas est mobilisé dans l’armée française pour un peu moins d’un an. Il résiste au régime de Vichy aux côtés de plusieurs personnalités comme Marguerite Duras et Robert Desnos. La Gestapo l’arrête en 1943. Il recevra la Médaille Commémorative pour son rôle dans la Résistance.

A la fin de la guerre, Léon Gontran Damas se lance en politique. Il est nommé député de Guyane, un mandat qu’il honorera de 1948 à 1951 en siégeant à l’Assemblée Nationale française avec les socialistes de la S.F.I.O. Il se marie à la martiniquaise Isabelle Achille durant cette période.

Léon Gontran Damas publie les recueils Graffiti et Black Label en 1952 et 1956. A cette époque il voyage beaucoup, en Afrique mais aussi en Amérique du Nord et du Sud pour diverses missions culturelles.

L’Unesco, interpellé par le talent et l’engagement de Damas qui y travaille comme chercheur de 1964 à 1969, lui confie le rôle de délégué à la Société Africaine de Culture. Dans le cadre de ses recherches, Damas se rend au Brésil où il rencontre Marietta Compos, qu’il épouse en 1967.

Rêve américain

Léon Gontran Damas, reconnu dans le monde entier, termine sa carrière aux Etats-Unis. Il devient professeur à l’université de Georgetown puis on lui offre une chaire à Howard, la plus prestigieuse université afro américaine. Il y restera jusqu’à sa mort, enseignant la littérature africaine.

A 65 ans, on lui diagnostique un cancer. Il est traité avec réussite, mais une rupture d’anévrisme le frappe à peine quelques mois après sa guérison. Son organisme est affaibli, il attrape une pneumonie et on lui découvre un second cancer de la gorge.

Léon Gontran Damas est décédé le 22 janvier 1978 à Washington. Il avait 66 ans. Ses cendres ont été présentées pour un hommage en Martinique en août de la même année, avant d’être rapatriées en Guyane en grande pompe en septembre, au cours de la « semaine culturelle Léon Damas ».

Postérité

On peut aujourd’hui considérer ce penseur comme l’un des Grands Hommes du vingtième siècle, qui a vu le démantèlement du colonialisme et l’avènement de la reconnaissance de différentes cultures notamment africaine.

Léon Gontran Damas a sans conteste influé ce changement, participant à l’émergence d’une conscience noire internationale. Il est également celui qui a su faire le pont entre les noirs de la diaspora, travaillant tant en Afrique qu’aux Etats-Unis, en Amérique latine et dans les Caraïbes, réunissant la littérature anglophone et francophone dans un même courant de pensée, tourné vers la liberté et l’égalité pour ses frères nègres.

L’œuvre de Damas est pourtant aujourd’hui beaucoup trop méconnue en France, moins appréciée que celles de Senghor ou Césaire, dont l’amour de la francophonie plaît à l’élite hexagonale…

Bibliographie

1937 : Pigments. Paris : Guy Lévis Mano. Paris : Présence Africaine, (1962).

1938 : Retour de Guyane. Paris : José Corti.

1943 : Veillées noires, Contes Nègres de Guyane. Paris : Stock. Montréal/Ottowa : Leméac, (1972).

 

1947 : Poètes d’expression française. Paris : Seuil.

1948 : Poèmes nègres sur des airs Africains. Paris : Guy Lévis Mano.

1952 : Graffiti. Paris : Seghers.

1956 : Black-Label. Paris : Gallimard.

1966 : Névralgies. Paris : Présence Africaine. 

Hommage

Deux ouvrages majeurs sont parus en hommage à Léon Gontran Damas :

1979 : Collectif. Hommage posthume à Léon-Gontran Damas, (1912-1978). Paris: Présence Africaine.

1988 : Collectif. Actes du colloque Léon Gontran Damas, Paris, colloque du 8 au 10 décembre 1988 dirigé par l’Agence de Coopération Culturelle et technique et les éditions Présence Africaine. Textes réunis par Michel Tétu sous l’égide de Césaire et Senghor.

Un documentaire vidéo a également été consacré au poète guyanais :

1991 : Léon Gontran Damas : ce pays de Guyane à mon cœur accroché, documentaire réalisé par Jean François Gonzalez. Schœlcher: CRDP des académies de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique.

La ville natale de Léon Gontran Damas abrite aujourd’hui un lycée qui porte son nom.

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21 novembre 2008 5 21 /11 /novembre /2008 10:24

Août 2002
Gustave Massiah - Cedetim - http://www.cedetim.org



Gustave Massiah, fondateur du Cedetim et ami de Mongo Beti, rend hommage à l’écrivain et au militant. Il évoque l’itinéraire de l’écrivain, inséparable de l’histoire des luttes contre la colonisation et pour la démocratisation du Cameroun.

 

 

 

Un polémiste redoutable et sensible

 

J’ai fait la connaissance de Mongo Beti, en 1978 et tout n’avait pas commencé de manière idyllique. Au cours du voyage de retour de Mongo Beti au Cameroun, en 1991, alors qu’il entamait une polémique virulente avec un ancien opposant retourné qui venait lui rendre visite, un des jeunes militants qui avait organisé le retour me demanda si je n’avais pas été aussi l’objet, comme tant d’autres, d’une critique virulente. Je me suis alors rappelé que la critique avait précédé notre rencontre et nous avait, en quelque sorte, vacciné.

 

En 1978, nous n’étions pas dans une période glorieuse. Le Cedetim qui avait pour nom alors centre d’études anti-impérialistes, était dans une des phases difficiles de son histoire, confronté au reflux des mobilisations internationalistes. Nous avions encore en mémoire un épisode douloureux que nous avions très mal vécu. Alors qu’une très forte mobilisation avait engagé des centaines de milliers de personnes dans les rues pour protester contre l’exécution décidée par la dictature franquiste au procès de Burgos, pour protester contre l’assassinat de Ouandié, commis avec la participation active de l’armée française, nous n’étions que quelques centaines. Notre engagement dans le comité de soutien à la lutte révolutionnaire du peuple chilien nous avait montré les limites d’un mouvement de masse internationaliste en France, particulièrement par rapport à l’impérialisme français et aux luttes des peuples africains. Le soutien de l’opinion avait été plus lié à l’émotion et à une représentation de la situation chilienne vécue comme analogue dans ses effets à une situation européenne, avec un rapport très particulier d’une possible union de la gauche, socialiste et communiste, et d’un mouvement révolutionnaire actif. Le fonctionnement en cartel des organisations d’extrême gauche avait montré ses limites et il était très difficile, sinon impossible de progresser sur une vision internationaliste.

(...)

Mongo Beti, prompt à s’enflammer, partant au quart de tour, ne supportant ni l’injustice, ni le mépris, ni l’indifférence ; mais aussi, Mongo Beti, sensible et à l’écoute, prêt à revenir sur ses premières impressions, heureux quand il pouvait abandonner ses préventions et une méfiance, incapable de s’y complaire. Le contraire de l’acariâtre que tant de personnes qu’il a allumé se sont complut à présenter.

 

Quel contraste entre la gentillesse, la modestie, l’humilité et la prévenance de Alexandre Biyidi et la violence flamboyante du pamphlétaire Mongo Beti ! Dès qu’il bataillait pour pourfendre la colonisation, la domination, l’humiliation, il trempait sa plume dans le vitriol. Et là, dès qu’il décelait un faux-semblant, il ne faisait pas dans la demi-mesure. Dans les milieux africains et africanistes la parution de la revue était toujours reçue avec un peu d’appréhension. Qui allait donc être aligné cette fois-ci ? Cette violence, cette outrance était nécessaire pour traverser les vapeurs de bonne conscience suspecte et de mauvaise foi cynique qui engluent les relations franco-africaines, pour marquer l’irruption outrecuidante d’une parole africaine et noire qui refuse le théâtre d’ombres d’une décolonisation trahie.

 

Une conception toujours actuelle de la résistance africaine

 

Mongo Beti est un des grands résistants de l’Afrique moderne. Tous ses livres en témoignent. Il a mis ses talents de pamphlétaire au service de la résistance des opprimés, des colonisés. Il va faire une entrée fracassante dans la résistance active et directe, en 1972, avec Main basse sur le Cameroun, interdit dès sa parution. La revue Peuples Noirs, Peuples Africains va prendre la relève en 1978. Le Dictionnaire de la Négritude, écrit avec Odile Tobner, en 1989, a renouvelé les assauts vigoureux. La France contre l’Afrique, en 1993, intitulé à l’origine, Retour au Cameroun, vient compléter la série. 

(...) 

Mongo Beti résistait. On résiste comme on est, en étant toujours soucieux des autres, mais seul s’il le faut. Mongo Beti n’a jamais attendu des autres une reconnaissance ou un satisfecit ; il résistait parce que c’était lui et qu’il était là, qu’il estimait impossible de ne pas s’engager. En réalité, il n’était pas tout à fait seul, parce qu’il y avait Odile, toujours là, toujours exigeante. Mais Odile était-elle vraiment une autre, pouvait-on imaginer Alexandre sans Odile ou inversement ?

 

Mongo Beti devenait une référence, mais il ne se considérait pas comme parfait ! Il résistait avec ses contradictions et il en souriait. Il disait, mais au fond, je suis un petit-bourgeois français, je suis fier de ma langue et de mon agrégation en grammaire, nos revenus ne sont pas négligeables, j’aime ma maison individuelle à Rouen. Mais sa résistance le magnifiait, les magnifiaient, lui et Odile. Tout leur revenu, tout leur temps, toute leur disponibilité passait dans la revue. Et ils étaient toujours prêts à batailler contre ce qui leur paraissait être des idées suspectes, des reniements, des clairs-obscurs. 

(...) 

Mongo Beti avait une conception de la résistance qui a correspondu, dès le départ, aux conditions de l’Afrique contemporaine et moderne. Il a toujours considéré qu’il fallait lutter sur deux fronts pour mettre en évidence les responsabilités du colonisateur, en l’occurrence la France, toujours dominante sous de nouvelles formes, et les responsabilités des pouvoirs locaux et, en l’occurrence, des dirigeants africains. Mongo Beti n’a jamais séparé les deux ; il est un des rares à avoir toujours pris en compte l’intime relation des dominants et des dominés et l’importance particulière, dans cette relation, des élites des pays dominés. Il a su aussi apprécier cette relation en situation, ne la considérant pas comme figée, attentif à sa permanence et aussi à ses évolutions.

 

Il a pu le faire, car il a su vivre sa double appartenance, sans concessions d’un côté comme de l’autre. En tant que citoyen vivant en France, il s’est lancé dans toutes les batailles de la société française, il a vu à quel point la colonisation avait marqué la société française, à quel point elle en était toujours le principal analyseur. Mais, dans le même temps, il comprenait les contradictions profondes de cette société, l’importance de ceux qui refusaient le cours de cette caractéristique française ; il faisait partie de ceux qui, mêmes minoritaires, niés, marginalisés, refusaient de manière rageuse cette fatalité. Dans le même temps, en tant qu’africain, que camerounais, il n’exonérait pas les élites africaines de leur responsabilité. Pour lui il était évident que la domination globale ne saurait excuser le pouvoir des potentats ; la corruption, la répression, la trahison.

 

Un engagement en phase avec l’évolution africaine

 

L’histoire des luttes anti-coloniales comprend d’abord celle des mouvements de libération nationale, elle comprend aussi celle des mouvements de résistance dans les pays coloniaux. Elles font toutes les deux parties de la décolonisation, ce moment historique majeur de l’Histoire de l’Humanité. Cette révolution qui reconnaît à chaque peuple le droit de participer à sa propre histoire et de contribuer, sur une base d’égalité, à l’histoire commune des peuples. Il s’agit d’une lutte commune d’émancipation, car nous savons comme l’ont répété tant de philosophes qu’un peuple qui en domine un autre n’est pas un peuple libre.

 

Mongo Beti a très vite perçu que la décolonisation, cette perspective exaltante ne se réaliserait pas toute seule, et se situerait dans le temps long. L’espoir né de la décolonisation ne rend que plus amère la crise de la décolonisation. Celle-ci s’installe alors que la décolonisation est loin d’être terminée. L’Afrique du Sud rappelle jusqu’en 1993 que la colonisation et le racisme sont encore la règle et la loi. Dans les pays qui ont accédé à l’indépendance et dont les Etats sont reconnus, la décolonisation reste inachevée. La libération économique n’a pas été au rendez-vous de l’indépendance. La reprise en main directe par les pays les plus riches et les plus puissants, qui sont justement et ce n’est pas une pure coïncidence, les anciens pays colonisateurs, s’appuie sur la faillite des régimes ; faillite qu’elle contribue largement à organiser. Dans les pays qui restent sous influence, l’ancienne puissance coloniale s’appuie sur les personnes et les couches sociales qui y trouvent leur intérêt ; la France excelle dans ce registre. Il faut lire les textes de Mongo Beti sur « la déroute sanglante de la décolonisation à la française ». Dans les pays qui avaient conquis leur indépendance de haute lutte, les régimes résistent difficilement aux coups de butoir et à la logique du nouvel ordre mondial. Généralement, ils négligent les libertés et les formes démocratiques, rompant l’adhésion populaire du temps des luttes de libération, facilitant les divisions des peuples, isolant les élites dirigeantes, laissant prise à la corruption et à l’arbitraire, affaiblissant les résistances jusqu’à ce que la domination extérieure apparaisse comme un moindre mal.

 

L’engagement constant de Mongo Beti, c’est le Cameroun. Cet ancrage lui permet de vivre et de comprendre les situations. Il lui permet de s’approprier toutes les autres situations et de donner la mesure de ses engagements, dans la société française, pour la libération africaine, pour les peuples noirs, pour les opprimés. Il est à la fois immergé et légèrement distancié, capable ainsi de s’engager complètement sans perdre son libre arbitre. Ainsi, de son rapport à l’UPC ; se référant au départ du mouvement, il se définit toujours comme un upéciste dur, mais il se gardera des luttes de fractions et ne sera pas surpris des ralliements au régime. De même, en France, il soutiendra les luttes sociales sans jamais oublier les conséquences de la position dominante de la France sur la situation sociale française. 

(...)

La période de 1947 à 1962 est celle de la décolonisation. Elle commence pour l’Afrique par les massacres coloniaux dès 1947 à Madagascar puis à Sétif en Algérie. C’est aussi la montée des fronts et des alliances, la naissance des partis proches du PCF, le basculement de larges fractions de la petite bourgeoisie et de la paysannerie dans les fronts de libération nationale. Les luttes de libération emblématiques sont celles de l’Algérie et du Vietnam. La SFIO va sombrer dans le colonialisme avec l’Algérie et avec l’expédition de Suez contre l’Egypte nassérienne. Une nouvelle gauche va se former sur le refus de la colonisation, en alliance conflictuelle avec la PCF. En Afrique Noire, les luttes se radicalisent et les manifestations se succèdent. Les milieux africains en France sont en pleine ébullition. La FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire) participe aux luttes anti-coloniales. Une partie des dirigeants des futurs Etats africains font leurs classes dans les gouvernements et les assemblées de la IVème République ; les réseaux, gaullistes et autres, commencent à esquisser la fratrie de la « Franc’Afrique ». La mobilité est très grande ; Mitterrand pour créer son groupe de l’UDSR, détache Houphouët-Boigny du groupe parlementaire du PCF. Houphouët et Sékou Touré commencent à diverger bien avant le non au référendum de la Guinée. Les intellectuels africains sont mobilisés, autour des « groupes de langues » du PCF et des mouvements politiques africains mais aussi autour des revues et des libelles. Présence Africaine polarise les écrivains, Mongo Beti fera partie de cette nouvelle génération en 1953, il y publiera sa première nouvelle et son premier livre Ville Cruelle.

 

La période de 1962 à 1977 pourrait être qualifiée comme celle du non-alignement. C’est une période d’intenses contradictions. Les nouveaux Etats ne sont pas stabilisés. C’est une période d’espoirs et d’initiatives. Des alliances considérées comme progressistes, mêlant des militaires, des syndicalistes, des secteurs des petites bourgeoisies, intellectuels et fonctionnaires accèdent au pouvoir. En Guinée, au Ghana, au Mali, au Sénégal, en Tanzanie, au Congo pour citer des équipes se référent à un modèle de développement d’indépendance nationale. Leur échec sera lié à des causes multiples. Elles sont bien sûr confrontées à la déstabilisation et aux coups d’état suscités par les puissances pas si anciennement coloniales. Mais, il ne faut pas oublier les erreurs internes. Ces équipes sous-estiment la paysannerie et l’importance des pouvoirs traditionnels ; elles ignorent superbement les libertés et la démocratie. Deux ans avant sa mort, un des sages de l’Afrique, Nyerere considérait que sa principale erreur était d’avoir théorisé le parti unique pour l’Afrique. Alors que le non alignement marque des points au niveau international, en Asie avec la défaite américaine au Vietnam, et avec les deux chocs pétroliers de 73 et 77, la décolonisation africaine est en pleine crise. L’Afrique australe et les pays lusophones sont toujours colonisés, le Congo de Lumumba est ravagé, la guerre du Biafra met en place les nouvelles représentations des conflits ethniques. En France, il y a de nombreux facteurs nouveaux. Le conflit sino-soviétique se traduit particulièrement dans la FEANF ; une immigration ouvrière africaine se développe ; les coopérants permettent la mise en place des nouveaux régimes. En 1968, il y n’a pas eu que la France, il y a eu aussi les mouvements au Mexique, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, etc. Une nouvelle génération de cadres africains va se former dans le mouvement des années soixante-dix.

 

Contrairement à beaucoup d’autres, Mongo Beti n’a pas partagé l’euphorie de cette période qui a suivi les indépendances. La lutte armée de l’UPC et l’engagement direct de la France dans la répression l’ont alerté. Il n’est pas attiré par les mirages du pouvoir et il voit avec effarement la course aux postes et les reniements. Il construit les bases de sa liberté avec son agrégation de lettres et son poste de professeur de lycée ; il ne sollicitera aucun privilège, aucun passe-droit ni en Afrique, ni en France. En 1972, Main Basse sur le Cameroun livre une autopsie de la décolonisation, une vision prémonitoire. En 1974, dans Remember Ruben, à la veille de l’indépendance, claque ce jugement d’un des personnages troubles de ce faubourg de Fort-Nègre « nous te reprochons non ton ascension, mais d’en avoir acquitté le prix avec la souffrance des autres pour toute monnaie ». Mongo Beti dédie son livre à un des nouveaux militants, « A Diop Blondin, ... assassiné dans les geôles d’un dynaste d’Afrique. Afrique marâtre trop fertile en tyrans mercenaires ».

 

La période de 1977 à 1995 est celle de la reconquête libérale. Elle s’appuie sur une gestion agressive et criminelle de la crise de la dette. Le front des non-alignés s’est effondré et, une dizaine d’années après, en 1989, c’est au tour de l’Union Soviétique. La mondialisation se traduit par l’ajustement de chaque société au marché mondial ; par la montée des inégalités entre le Nord et le Sud et dans chaque pays, par la précarisation dans les sociétés du Nord et le développement de la pauvreté dans les pays du Sud. La reprise en mains n’est pas seulement économique, elle est aussi militaire. La France, surtout giscardienne, s’est fait une spécialité de l’envoi de ses parachutistes pour soutenir les régimes en danger. En Afrique même, les indépendances des colonies portugaises et de l’Afrique Australe ouvrent de nouvelles perspectives. La victoire de l’ANC en Afrique du Sud, en 1993, met fin à la colonisation dans le continent et ouvre une nouvelle période. Mais, les tentatives de démocratisation s’enlisent, les guerres se multiplient ; le génocide au Rwanda montre jusqu’où peuvent entraîner les manipulations des représentations ethniques. L’embrasement de l’Afrique des grands lacs déstabilise le continent. Une image d’une Afrique marginalisée et à la dérive s’impose dans les représentations internationales ; on en saisit mal les tenants et les aboutissants. L’Union Européenne a subordonné ses rapports avec l’Afrique à l’ouverture à l’Europe de l’Est d’une part, et à la logique de l’Organisation Mondiale du Commerce de l’autre. En France même, la victoire de la gauche en 1981 avait donné quelques espoirs alimentés par les discours de Cancun sur le Sud et de la Baule sur la démocratisation. Mais il a fallu se rendre à l’évidence, la continuité des intérêts et des réseaux a vite repris le dessus. La manière dont sont traités les sans-papiers, les délivrances de visas, les implantations de foyers a malheureusement montré à quel point la France, dans son rapport à l’Afrique, reste marquée par sa culture coloniale.

(...)

Mongo Beti a participé activement à Libération Afrique pendant toute cette période. Le CEDETIM avait lancé cette revue en 1971 ; au départ, elle jouait le rôle d’agence de presse des six mouvements de libération africains reconnus par l’OUA (ANC, ZANU, SWAPO, PAIGC, MPLA, FRELIMO). Michel Capron, qui représentait alors le CEDETIM à Alger, en avait défini les grandes lignes avec ces mouvements. L’évolution avait confirmé la philosophie politique que le CEDETIM s’était donné : soutenir vigoureusement les mouvements de libération, sans abandonner le droit de critique mais, rompre tout lien officiel avec les partis quand ils accèdent au pouvoir, ce qui n’empêche pas de garder des relations de discussion, voire d’amitié, avec les militants de ces partis. Cette philosophie s’était imposée aux fondateurs du CEDETIM dans leurs rapports avec le FLN après la libération de l’Algérie. Aussi, quand les mouvements avaient accédé au pouvoir, ou n’avaient plus besoin de nous pour leur reconnaissance, la revue avait pris une autre dimension plus orientée sur les nouvelles formes de résistance africaine et sur la critique des politiques française et européenne. Sous l’impulsion de Jean-Yves Barrère et de Guy Labertit une équipe s’était formée composée de militants français et africains. Parmi ceux-ci, alors tous dans l’opposition, Patrice Yengo, Alpha Condé, Mamadou Ahmadou, Landing Savané, Laurent Gbagbo, Brigitte Ameganvi et bien d’autres. Mongo Beti était devenu une référence pour tous ceux-là ; quand il venait à un réunion ou à un débat, il n’y avait que lui qui ne se rendait pas compte de l’attention et de l’affection que réservait cette nouvelle génération à ses interventions et à sa présence. Je voudrais aussi dire, en passant, que pour cette génération comme pour les autres, l’évolution a confirmé notre philosophie politique ; nous en plaisantions souvent avec Alexandre en considérant, qu’à l’épreuve du pouvoir, il devenait de plus en plus difficile de garder aux dirigeants politiques le crédit de ce qu’ils avaient fait dans l’opposition.

 

Le courage tranquille d’un engagement renouvelé

 

La nouvelle période commence vers 1994. Elle est marquée par l’articulation entre les crises internes du système et sa contestation par un mouvement citoyen mondial que certains désignent comme anti-mondialisation et que nous préférons appeler alter-mondialisation. En Afrique, une nouvelle génération a pris la relève. Elle sait qu’il faut relier résistance à la domination, développement et défense des droits, démocratisation et défense des libertés. Il y a eu aussi une véritable révolution démographique scolaire ; quelques soient les débats sur la qualité de l’enseignement et malgré l’émigration et l’exportation des cerveaux, il y a un grand nombre de cadres formés, compétents, motivés et ... inemployés. Il ne faut pas négliger l’impact idéologique de la victoire de l’ANC sur tout le continent ; victoire sur le racisme et la fatalité dont on a pu voir les premiers ébranlements à la Conférence de Durban, victoire sur la géopolitique du continent. A propos de la déstabilisation de l’Afrique des Grands Lacs, on demandait à Nyerere peu avant sa mort, s’il préférait l’influence européenne ou l’influence américaine, il a répondu : je préfère l’influence africaine. Et comme le précisait Mamadou Diouf dans un colloque sur la géopolitique africaine : ne négligeons pas que, avec l’évolution de l’Afrique Australe, les africains sont aussi capables de ruser ; ils ont enfin gagné ce droit réservé à ceux dont l’importance ne peut être niée.

 

Je voudrais insister sur les nouveaux mouvements citoyens en Afrique, l’émergence des associations paysannes et des syndicats, des associations d’habitants, des groupes de femmes, des comités contre la dette, des mouvements pour les libertés, des associations et des ligues pour la défense des droits essentiels, des associations écologistes, de professionnels, etc. Elles sont de plus en plus présentes dans les pays africains, elles sont aussi de plus en plus parties prenantes des mobilisations internationales. Il ne faut évidemment pas sous-estimer la crise économique du continent, mais il faut la relier à la nature du système économique mondial et surtout à l’inadéquation croissante entre les potentialités des sociétés africaines et la nature des institutions africaines.

 

Mongo Beti a été tout de suite en phase avec cette évolution, d’autant qu’elle a correspondu avec l’évolution de sa vie personnelle, et sa réinstallation au Cameroun après 34 ans d’exil, en 1994. En fait, son premier retour a eu lieu en 1991 ; quand il a su qu’il pouvait entrer au Cameroun, il a commencé à penser à préparer son retour sans aucune garantie. En effet, il avait refusé de négocier, comme tant d’autres, et s’était rendu simplement à l’ambassade pour effectuer les formalités. Nous avions discuté de ce retour et comme il avait participé en 1989, au contre-G7 que nous avions organisé et notamment, à la campagne dette, apartheid, colonies ; ça suffat comme ci !, il avait eu l’idée d’inviter un certain nombre d’écrivains et d’intellectuels à l’accompagner pour montrer la réalité des relations franco-africaines. Nous voilà donc partis tous les deux pour chercher des compagnons et un financement pour les billets. Je dois dire que j’ai été effondré par le résultat de notre quête. Tous ceux que nous avons sollicités ne pouvaient pas se libérer ou contribuer. Manque de chance probablement ! Maisnous avons bien vu que la plupart ne comprenaient même pas l’intérêt de ce que nous leur proposions ; certains concevaient bien une aide humanitaire pour les africains, d’autres ne pensaient pas qu’une mobilisation radicale pouvait exister en Afrique francophone ! Faute de personnalités médiatiquement reconnues, nous nous sommes retrouvés tous le deux, ce qui nous a permis de nous débrouiller pour les billets sans avoir de financement à demander.

 

Ce voyage a été, pour moi, une expérience assez extraordinaire. Mongo Beti a décrit avec beaucoup d’humour notre arrivée et nos mésaventures à l’aéroport ; mais quand il est sorti, des centaines de personnes, informées on ne sait comment et qui avaient attendu des heures, lui ont fait une ovation. Partout l’accueil était formidable. Mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est la qualité et l’engagement de la nouvelle génération qui avait accueilli Mongo Beti, les Célestin Monga, Ambroise Kom, Pius Najwé et tant d’autres qui ont inventé les nouvelles formes de mobilisation dans les sociétés africaines.

 

Quand Mongo Beti rentre au Cameroun, chez lui, il va découvrir et inventer de nouvelles formes d’engagement qui correspondent aux formes de mobilisation du mouvement citoyen africain. Son investissement dans son village lui permet de comprendre les contradictions et les limites des sociétés africaines, et aussi les difficultés et les limitations du développement local. Il adapte PNPA à la nouvelle situation africaine, il ouvre une librairie, Tringa, à Yaoundé, librairie des Peuples Noirs. Il en fait un lieu d’apprentissage démocratique, une provocation ouverte par rapport à un pouvoir hostile ; les jeunes viennent y lire devant les rayonnages. Mongo Beti est fier de se définir comme libraire, indépendant et financé par ses revenus, avec Odile bien sûr qui prend sa part de l’aventure.

 

Mais il ne se contente pas de ces activités, il continue à s’engager avec un courage, tranquille et inébranlable, là où on l’attend et là où on ne l’attend pas. Le voici qui soutient les écologistes camerounais parce que ce sont des jeunes qui dénoncent l’exploitation des ressources naturelles et la corruption et qui sont réprimés. Le voilà qui préside le comité de soutien à Titus Edzoa sans aucune vision angélique sur le passé de celui qu’il défend. Pour ceux qui sont surpris il explique que la lutte pour les libertés ne se divise pas, que la bataille pour les droits doit être menée dans tous les cas, et non en fonction des individus ; surtout quand le danger est maximum parce qu’il s’agit de refuser les injonctions et les manipulations du pouvoir. Et le fait de s’engager avec tout ce qu’il représente change la nature de la lutte, oblige le pouvoir à se définir sur des principes et sur l’état de droit.

 

Sa bataille pied à pied au Cameroun ne le désengage pas de la lutte en France et dans les pays européens et américains. Il répond toujours présent à toutes les initiatives. Il est fermement engagé dans le collectif Elf ne doit pas faire la loi en Afrique créé par Agir Ici, le CEDETIM, Survie et les Verts, animé particulièrement comme il se doit par Jean Yves Barrère, avec la participation de toutes les organisations africaines d’opposition représentées en France. Il soutient le CEDETIM et Noël Mamère quand Elf nous attaque en justice. Récemment encore, il témoigne magnifiquement dans le procès que trois dignitaires africains de la « Franc’Afrique » intentent à François Xavier Verschave, Président de Survie et auteur de Noir Silence.

 

Une pensée politique lucide et exigeante

 

Mongo Beti a affirmé sa pensée politique de diverses manières : à travers sa pratique militante et son engagement, par ses écrits politiques, par son œuvre d’écrivain. Il est assez étonnant de penser que les écrits politiques avaient sa préférence. Il disait souvent « ce que j’aurais aimé c’est d’être journaliste ; je préfère le dialogue direct, l’article, l’essai pour dire ce que je pense sans l’intermédiaire de la fiction qui est au fond d’essence plus aristocratique ». Il m’a dit un jour, je n’écrirai plus de romans ! Pendant des années, avec bien d’autres, je lui répétai que c’était une erreur, que ses livres jouaient un rôle majeur dans l’action politique. C’est après son retour en Afrique qu’il a pu se remettre à écrire, renouvelant complètement sa vision et son écriture. J’étais donc très heureux quand j’ai appris que dix ans après La revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama, un nouveau roman était sous presse ; et quelle n’a pas été mon émotion quand j’ai découvert, en recevant L’histoire d’un fou, imprimée en page de garde, la mention de notre amitié.

 

Mongo Beti est unanimement considéré comme faisant partie des fondateurs et des précurseurs de la littérature africaine. En 1971, à son retour au Cameroun, Ambroise Kom avait organisé une rencontre publique, qui s’est transformée en manifestation de rue à Yaoundé, les autorités ayant fait fermer la salle réservée, entre les trois générations d’écrivains africains. Si Mongo Beti acceptait volontiers la discussion entre générations d’écrivains, il n’aimait pas beaucoup l’assimilation aux « anciens » de la littérature francophone. Il était évidemment attentif à la dignité de l’homme noir et à la mémoire africaine, mais il se méfiait de l’utilisation suspecte de la négritude. Il n’avait aucune position dogmatique sur la langue française qu’il maniait avec un certain génie, mais il combattait sans hésitation, ce qu’il appelait dans le premier numéro de PNPA en 1978, la francophonie pervertie et détraquée. Il déclare ainsi : je soutiendrai Fru Ndi contre Biya parce qu’il est anglophone ; il n’y a pas meilleure manière, compte tenu de l’aveuglement français, de montrer qu’on refuse le système qu’on nous impose.

 

L’œuvre de Mongo Beti peut être rapprochée de celle des grands écrivains noirs et aussi de l’histoire du jazz qu’il aimait tant. Je le rapprocherai aussi volontiers du Franz Fanon de Peaux noires, masques blancs et du magnifique Discours sur le colonialisme de Aimé Césaire. Son œuvre d’auteur de fictions, comme il aimait désigner son travail d’écrivain, comporte quatre séries de romans séparées par de longues plages d’essais et d’articles qu’il persistait à considérer comme une écriture plus directement politique. Ces quatre séries peuvent être éclairées par « l’évolution de l’Afrique, et très particulièrement de l’Afrique francophone et encore plus particulièrement du Cameroun » comme il écrit en 1991 dans le dernier éditorial pour rappeler la mission spécifique que s’est assignée la revue.

 

De 1953 à 1957, de Ville Cruelle au Roi Miraculé, en passant par Le Pauvre Christ de Bomba et Mission terminée, la première série, à l’heure des luttes anti-coloniales, dévoile la colonisation, et ses dernières crispations, et moque vigoureusement l’évangélisation et l’aliénation des colonisés. En 1974, Perpétue et l’habitude du malheur, ainsi que Remember Ruben, comme Main Basse sur le Cameroun, en 1972, sont marqués par la liquidation des espoirs portés par la lutte de l’UPC, l’assassinat de Ruben Um Nyobé, les procès de Ouandié et de Mgr Ndongmo, sous les coups de l’armée française et du régime camerounais. De 1979 à 1984, de La Ruine presque cocasse d’un polichinelle aux deux livres qui racontent Guillaume Ismaël Dzewatama, nous sommes dans ce que dénonce PNPA, dont le deuxième numéro, en 1978, s’intitule Droits de l’Homme et violence de l’impérialisme sous les dictatures francophiles d’Afrique Noire. En 1994 avec Histoire d’un fou et en 1999 et 2000 avec Trop de soleil tue l’amour et Branle bas en noir et blanc, les situations désespérées, « parce que le malheur n’y a jamais de fin » débouchent sur la folie et l’extravagance, qui sont aussi des formes de refus et de résistance.

 

Dans la pensée politique de Mongo Beti, je voudrais insister sur la liberté de pensée et la lucidité, l’attachement viscéral aux principes et à l’universalité. Il était capable de comprendre, de traduire, de faire vivre les réalités culturelles les plus spécifiques des sociétés traditionnelles et des sociétés modernes africaines ; pour autant il n’en tirait aucun relativisme et stigmatisait avec force tous les comportements qui lui paraissaient inacceptables. Il avait conservé une capacité d’indignation exceptionnelle qu’il appliquait avec la même rigueur et vigueur pour pourfendre les comportements des français comme des africains, des intellectuels comme des policiers ou des paysans.

 

On était toujours très surpris par la manière très concrète et inattendue de Mongo Beti quand il intervenait dans une discussion. Un jour il donnait comme exemple des dénis des droits le fait qu’un policier puisse rançonner des gens dans la rue. Tous les participants étaient étonnés, ça ne leur paraissait pas si grave ! Mais, il avait raison bien sûr, quand on trouve ces dénis normaux on a déjà perdu ; chacun a droit au même respect en France ou au Cameroun.

 

Je me souviens un jour, dans une grande conférence à l’Assemblés Nationale, il devait intervenir sur la situation de l’Afrique ; il monte à la tribune et il explique qu’un africain venait de manquer de respect à sa femme dans l’ascenseur et qu’il ne voyait pas comment on pouvait lutter contre la domination et l’humiliation avec des personnes qui avaient de tels comportements et qui ne se rendaient même pas compte de ce que ces comportements représentaient et signifiaient. Je me souviens encore du regard effaré des militants purs et durs frustrés de la dénonciation classique et convenue qu’ils attendaient et qui pensaient qu’il ne fallait pas perdre de temps sur des contradictions somme toute secondaires. Mais Mongo Beti refusait de relativiser, la comparaison entre les situations lui permettait de saisir l’essentiel. Et il savait très bien que c’est la faiblesse des sociétés, la trahison des élites, la corruption, l’aliénation qui permettent à la domination de s’imposer et de se reproduire. D’où l’importance dans les situations concrètes du rejet de tout aveuglement, de l’acceptation fataliste. 

(...)

La pensée politique de Mongo Beti, étonnement moderne et actuelle, s’organise autour de trois grands thèmes : la lutte contre le néocolonialisme en tant que système et en particulier le néocolonialisme français en Afrique ; la lutte contre la tyrannie, le despotisme et la corruption des élites locales, particulièrement africaines, et par là contre l’aliénation des sociétés ; l’engagement dans une révolution longue et difficile pour l’Afrique.

 

Sa critique de la politique française est percutante. Je ne résiste pas à citer un passage de l’éditorial du premier numéro de PNPA en 1978 : « Que par tous les moyens, y compris, quand cela est possible les plus sauvages, et notamment l’embargo d’une censure moyenâgeuse, le capitalisme s’ingénie à conserver les marchés de sa verroterie autrement invendable, ainsi que les indispensables sources de matières premières quasi gratuites, rien là que de banal ».

 

Les positions de Mongo Beti sur la France et les français étaient sereines. Sa critique était d’autant plus acérée qu’il partageait les valeurs qui avaient émergé dans une partie de son histoire ; il en était pétri et supportait d’autant moins qu’on les bafoue. Il ne supportait surtout pas l’hypocrisie et les faux-semblants. Invité à une séance de travail du Cercle Condorcet sur la coopération française, il explique : il est bien normal que la France défende ses intérêts économiques et de puissance, mais de grâce qu’elle arrête de nous dire qu’elle veut aider l’Afrique ; si la France veut vraiment aider les africains, qu’elle les laisse tranquille.

 

Je voudrai rapprocher les positions de Mongo Beti sur le néocolonialisme français de celle du Discours sur le colonialisme de Aimé Césaire : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. Le fait est que la civilisation dite « européenne », la civilisation « occidentale » telle que l’ont façonnée deux siècles de régime bourgeois est incapable de résoudre les deux problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial(...). » ; et, un peu plus loin, « il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer (...) le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. »

 

Mongo Beti écrivait dans l’éditorial de 1991 de PNPA : « il n’y aura pas de démocratie en Afrique sans une révolution dont les remous, les soubresauts, les spasmes peuvent encore faire beaucoup de mal ... nous ne sommes encore qu’au début de la grande saison des tempêtes africaines... que les africains se souviennent qu’il y eut ensuite Martin Luther King, Malcolm X, le Black Power, Les Black Panthers, bref la révolution noire, quinze années de bruit et de fureur ». Les deux personnages que Mongo Beti cite le plus volontiers sont Martin Luther King et Nelson Mandela. Ils n’ont pas craint de s’engager dans des luttes très longues et incertaines ; ils ont su dépasser les modèles pour inventer de nouveaux chemins de libération ; ils ont mené des combats dont la violence n’était pas exclue mais sans jamais subordonner leurs luttes à la violence. Dans l’interview reprise par Ambroise Kom, il indique : « Il nous faut reconquérir, l’un après l’autre, tous nos droits : droit à la liberté d’expression, droit au vote, droit à la liberté d’association, droit à ceci et cela, mais d’une façon non violente. Les droits se perdent en un jour, ensuite il faut des décennies pour les reconquérir ». Dans sa conception de la non-violence, Mongo Beti pense qu’on n’évitera pas la violence des dominants, mais qu’on peut la retourner contre eux. Il me rappelle cette phrase terrible d’un des pères de la non-violence : « nous sommes condamnés à la non-violence ; si elle échoue, nous n’aurons plus le choix qu’entre tuer et trahir ».

 

Je n’insisterai pas plus longuement sur la lutte contre les responsabilités des despotismes locaux. C’est ce qui donne ce côté désespéré à ses écrits et particulièrement de ses derniers livres. Dans Trop de soleil tue l’amour, on trouve cette phrase terrible et magnifique : « Quand on ne peut pas agir, à quoi bon essayer de comprendre ? » Mongo Beti inverse ainsi la proposition de Marx : « nous voulons comprendre le monde pour le transformer ». Comment mieux exprimer le désespoir de tant d’africains qui sont persuadés qu’il n’y a pas d’issue, et qu’on ne peut que se faire avoir si on essaye de comprendre, si on accepte tant soit peu une logique imposée qui se retournera fatalement contre nous.

(...)

Je voudrais reprendre ici une pensée de Gramcsi, tellement actuelle, qui me paraît correspondre à la philosophie politique de Mongo Beti. Au moment de la période noire de la montée du fascisme et de la guerre en Europe, Gramcsi explique : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair obscur surgissent les monstres ». Mongo Beti enrage de ce clair obscur et de ses dangers ; pour construire le nouveau monde, il veut combattre les monstres.

 

Mongo Beti a été, constamment mais sans complaisance, à l’écoute de la nouvelle génération de militants, attentif à ses doutes, ses attentes et ses désespoirs. Il a contribué à donner aux jeunes militants africains la conscience d’eux-mêmes, une conscience africaine et une conscience noire, une conscience universelle. A mon avis, bien peu ont aussi bien illustré, par leur vie, cette si belle proposition de Gramsci : « il nous revient d’allier au pessimisme de la raison, l’optimisme de la volonté ».

 

J’ai une profonde amitié pour Alexandre Biyidi-Awala et une grande admiration pour Mongo Beti ; deux côtés indissociables d’une personnalité exceptionnelle aux multiples facettes. C’était un polémiste redoutable, bretteur, engagé et dans le même mouvement un ami fidèle, disponible, fragile. Un grand écrivain, universel parce que africain et noir. Un des grands résistants de l’Afrique moderne ouvert à toutes les formes d’engagement, des initiatives locales aux débats politiques africains, européens et internationaux. Un militant engagé dans les luttes anti-coloniales et dans le mouvement de solidarité internationale, ouvert aux sociétés, aux cultures, aux civilisations assurant avec un courage tranquille une lutte incessante pour la reconquête des droits contre les systèmes de domination et les despotismes. Un penseur politique lucide et exigeant, conscient de l’engagement des peuples africains dans une révolution longue et difficile. Je voudrais simplement ici proposer quelques réflexions et évoquer quelques moments de cet itinéraire remarquable qui inscrit les luttes contre la colonisation et la décolonisation inachevée dans le futur de l’Afrique et du monde.
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Textes De Juliette